Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Chiapas, la resistance

Caracol IV Morelia

Gloria Muñoz Ramirez

lundi 8 novembre 2004

Ce texte est la quatrième partie de la traduction française de l’enquête de Gloria Muñoz Ramirez après une année d’existence des conseils de bon gouvernement dans les cinq Caracoles. "Chiapas, la resistancia" est paru dans le supplément de La Jornada du 19 septembre 2004 et a été publié par la suite dans le numéro 23 (de septembre) de Rebeldía.

Chiapas, la résistance
Caracol IV Morelia

Une allée de pins mène au quatrième Caracol zapatiste, situé dans la
communauté Morelia, près d’Altamirano. C’est la régionTsots Choj ("tigre
courageux", en tseltal), région peuplée d’éleveurs et de paramilitaires,
et c’est là que l’armée fédérale viola une femme indigène et c’est là
aussi que, en 1994, trois miliciens de l’EZLN furent torturés et
massacrés.

Le Caracol se situe à l’écart du village, dans une clairière au milieu des
pins là où fut édifié, en 1996, ce que l’on appelait alors
l’Aguascalientes IV, un espace de rencontre politique et culturel.

Aujourd’hui, ce lieu n’a plus rien à voir avec celui d’alors : à l’entrée,
un atelier de technologie, au centre un atelier de fabrication de
chaussures et les dortoirs, plus loin l’auditorium et, sur le côté, le
bureau du conseil de bon gouvernement avec sa connexion satellitaire à
Internet.

Comme dans tous les Caracoles zapatistes, les constructions en bois et en
ciment sont couvertes de peintures murales aux images révolutionnaires.
Sur les murs de l’un des dortoirs, on peut voir une peinture dédiée aux
martyrs de Morelia, assassinés le 7 janvier 1994 lorsque, en plein
conflit, les soldats de l’armée prirent le village d’assaut, firent sortir
de chez eux les hommes qu’ils trouvaient, les rassemblèrent au centre du
village, les torturèrent et leur donnèrent ensuite le coup de grâce. Cette
histoire, bien qu’ancienne, est encore présente dans la mémoire de tous.

Aujourd’hui, l’ambiance est bien différente. Un groupe de Catalans du
Collectif de solidarité avec la rébellion zapatiste est arrivé et,
profitant de la présence des promoteurs d’éducation, venus pour une
formation en mathématiques, ils préparent un spectacle de marionnettes
avec des chansons révolutionnaires et des contes pour enfants.

La construction la plus récente, c’est la cafétéria El Paliacate, située
au fond du Caracol où l’on peut en plus de se restaurer trouver les
dernières éditions locales de la région autonome. C’est d’ailleurs dans
cette région que l’on a commencé à créer des éditions qui donnaient la
parole aux villages. Il y a quelques années, il s’agissait d’une petite
revue qui envoyait ses reporters indigènes couvrir les manifs et les
mobilisations zapatistes. Aujourd’hui, on publie, sous le nom d’Ediciones
autónomas en rebeldía, un bulletin qui relate l’histoire du centro de
comercio Nuevo Amanecer del arco iris et un autre qui parle de la lutte
des femmes zapatistes, celles des villages et les insurgées.

Ici, on est fier du centro de comercio Nuevo Amanecer del arco iris. Il se
trouve au carrefour de Cuxuljá, dans la communauté Moisés Gandhi,
précisément à l’endroit qu’occupait avant l’une des sept positions
militaires dont le retrait fut revendiqué par l’EZLN. Actuellement, "dans
l’endroit même où nous avons lutté courageusement contre la présence
militaire", s’élève le résultat de cet effort collectif qui a survécu
malgré les menaces d’expulsion de la police de sécurité publique et le
harcèlement des priistes et des partisans du PRD. Cet espace représente
les premiers travaux collectifs organisés par les sept communes autonomes
de la région, avant même l’existence du conseil de bon gouvernement. Les
sept communes sont : Primero de Enero, Olga Isabel, 17 de Noviembre,
Ernesto Che Guevara, Vicente Guerrero, Miguel Hidalgo et Lucio Cabañas.
L’autre signe distinctif des communautés de la région c’est le travail des
femmes. La désormais célèbre commandante Esther incarne le résultat de
plus de dix années de travail politique dans ces villages où, en dépit
d’une inégalité persistante, les avancées sont indéniables. Par exemple,
ce conseil de bon gouvernement est le seul qui ait une femme au sein de
chacun de ses conseils autonomes. Le conseil compte vingt-huit
participants, vingt et un hommes et sept femmes, de sorte qu’à chaque
réunion il y a toujours une femme qui représente à elle seule le quart du
gouvernement autonome. C’est peu, mais en comparaison avec d’autres
conseils, cela représente la plus forte participation des femmes dans le
gouvernement.

Les femmes tseltales, tsotsiles et tojolabales des sept communes sont
aussi des pionnières du travail collectif. Dans les villages se
multiplient les collectifs pour les plantations, la couture et la
broderie, la fabrication de bougies et de pain. "Les bénéfices de ce
travail, explique Maria, sont très peu répartis individuellement, la
plupart sont utilisés pour les biens communautaires."

La participation des femmes dans l’économie familiale les place dans des
espaces nouveaux au sein de la communauté et elles gagnent ainsi le
respect de leurs parents, de leurs époux, de leurs frères et de leurs
fils.

Assise au milieu de six hommes dans le bureau du conseil de bon
gouvernement, la seule femme de la réunion affirme : "Il faudrait
davantage de participation. Certains hommes qui comprennent la lutte sont
en train de découvrir que les femmes sont aussi capables que les hommes
pour tout type de travail, mais ce n’est pas le cas de tous... Il y a
beaucoup d’hommes qui ne laissent pas leur femme ou leur fille participer
aux cours ou aux travaux en dehors du village. Dans les villages où les
hommes ont une manière de penser bonne, les femmes font bien leur
travail."

L’influence des femmes indigènes zapatistes qui s’engagent dans le travail
est perceptible dans d’autres organisations. Maria raconte : "Dans mon
village les hommes priistes ont commencé à laisser sortir leur femme car
elles faisaient valoir que nous, les femmes zapatistes, nous pouvions le
faire. Ces femmes ont dit à leur mari qu’elles aussi pouvaient gagner de
l’argent honnêtement et elles se sont mises à travailler."

Éducation pour la paix et l’humanité

Pendant que je fais cette interview dans les bureaux du conseil, dehors
une équipe de promoteurs d’éducation joue au basket contre une équipe de
promotrices. L’inégalité des sexes dans le domaine de l’éducation se
retrouve aussi au niveau des promoteurs, éducateurs ou délégués (on les
appelle de ces trois manières) ; en revanche, dans les écoles des
communautés il y a presque le même nombre de garçons et de filles. La
plupart des instituteurs sont des hommes, mais le groupe d’élèves est
équilibré. Les filles vont maintenant à l’école et on leur demande de
moins en moins de rester à la maison pour garder leurs petits frères et
sœurs ou pour faire les tortillas.

L’éducation autonome fonctionne depuis 1995 et actuellement un total de
280 délégués d’éducation donnent des cours à 2 500 élèves des sept
communes. C’est également la seule région à posséder un centre de
formation de promoteurs dans chaque commune autonome, au lieu de n’en
avoir qu’un seul qui s’occupe de toute la région.

Ici, comme dans le reste du territoire zapatiste, les enfants n’apprennent
pas seulement à lire et à écrire mais aussi, c’est le plus important, "à
lutter, à défendre l’environnement, à respecter la nature et à être fiers
de leur culture". Les matières qui leur sont enseignées sont les suivantes
 : production, éducation politique, éducation artistique, culture, lecture
et écriture, santé, éducation physique, mathématiques, histoire et langues
(l’espagnol et leur langue maternelle). Ce programme a été élaboré au
cours de dizaines de réunions de travail par 200 éducateurs indigènes des
sept communes.

Un élément curieux qui montre comment fonctionne l’autogestion éducative
est que pour s’inscrire à l’enseignement primaire chaque enfant doit
apporter une poule et, grâce à ce système, les promoteurs ont maintenant
un élevage de poules qui produisent des œufs pour l’alimentation des
élèves. De même, chaque école primaire a été construite avec les moyens de
la communauté, sans aide extérieure, de sorte qu’il y a des écoles
primaires en parpaings et d’autres en bois. Les promoteurs travaillent
aussi dans des maisons qui leur sont prêtées ou encore dehors, sous une
bâche en plastique. L’école, disent-ils, "ce n’est pas un bâtiment".

Le programme éducatif de la région, comme tous les noms zapatistes porte
un nom assez recherché : Organisation pour la nouvelle éducation autonome
indigène pour la paix et l’humanité. Ni plus ni moins.

Le succès le plus récent en matière d’éducation c’est que cette année ont
débuté les cours d’enseignement secondaire. Des cinq zones zapatistes,
c’est la seule qui compte un niveau secondaire dans chacune de ses sept
communes autonomes. La première génération d’enfants est déjà sortie du
primaire et ils ont reçu des cours de mise à niveau pour accéder au niveau
suivant. "Avant, avoir une école nous semblait impossible et maintenant,
nous avons plus de cent écoles primaires et sept secondaires", déclarent
les autorités autonomes.

Beaucoup de carences et la consultation gratuite

Les villages zapatistes de cette région utilisent de moins en moins les
médicaments chimiques et encouragent à travers des campagnes d’information
l’usage d’infusions et de pommades élaborées avec des herbes et des
plantes médicinales. La médecine naturelle prend de plus en plus
d’importance et elle utilise des remèdes à base de romarin, de camomille,
de citronnelle et plein d’autres.

Un total de cent cinquante promoteurs de santé donnent des soins aux
zapatistes et non-zapatistes dans une centaine de dispensaires
communautaires, qui ont chacun deux armoires à pharmacie, l’une de
médicaments pharmaceutiques, l’autre de remèdes naturels. "La médecine
naturelle n’est pas payante, et les produits pharmaceutiques ne sont
vendus qu’à prix coûtant", expliquent les membres du conseil.

Il existe également sept cliniques municipales où la consultation est
gratuite pour toutes les bases d’appui, comme dans tout le territoire en
résistance. De plus, un laboratoire d’analyses cliniques a commencé à
fonctionner grâce à des promoteurs spécialisés.

Les manques sont énormes. Par exemple, il n’y a pas dans cette région de
cabinet dentaire, ni de bloc opératoire, ni d’hôpital, ni d’ambulance.
Lorsque quelqu’un tombe gravement malade, il doit être transféré à
l’hôpital de San Carlos d’Altamirano, qui est dirigé par les religieuses
qui, en 1994, avaient été menacées de mort par les caciques et les
éleveurs locaux qui les accusaient du terrible délit de s’occuper de tous
ceux qui arrivaient.

Malgré toutes ces insuffisances, les bases d’appui zapatistes apprécient à
leur juste valeur les résultats obtenus car, disent-ils, "dans les
cliniques de l’État, on nous donnait des médicaments périmés, on ne nous
traitait pas avec respect et en plus on nous faisait payer la consultation
et les médicaments à un tarif particulier".

De plus en plus, dans cette région, les indigènes priistes sont reçus dans
les cliniques et les dispensaires autonomes et Hilario, priiste de la
commune Miguel Hidalgo, reconnaît : "Il y a des fois où ils ne nous font
même pas payer la consultation, il est vrai que nous non plus n’avons pas
d’argent. Parfois, ils nous donnent des pommades et ils ne nous les font
pas payer et je crois que c’est bien pour les urgences."

De son côté, le conseil signale : "On ne peut pas refuser ce service. La
santé c’est pour tout le monde. L’argent que le gouvernement donne aux
priistes, ils le dépensent pour se saouler et après ils n’ont plus rien,
ni pour manger ni pour se soigner. Pour nous la santé c’est très important
et eux, comme indigènes, ils ont aussi besoin de ce service."

Chaque commune autonome dispose d’une commission de santé chargée
d’analyser la situation de toutes ses communautés. Avant l’existence des
conseils de bon gouvernement, reconnaissent les autorités, "beaucoup de
communautés n’avaient pas de dispensaire, mais maintenant il y en a
partout. Nous avons un plan général de travail pour la santé et tous les
trois mois les commissions se réunissent et font un état des lieux pour
voir où il manque des armoires à pharmacie, pour étudier les maladies qui
se manifestent et pour soutenir les initiatives".

Les promoteurs font des campagnes dans les villages environnants, pour la
lutte contre les parasites, pour les vaccins, pour l’hygiène afin d’éviter
certaines maladies. "C’est important d’éduquer le peuple sur l’origine des
maladies, sinon nous allons passer notre temps à soigner", remarque Daniel
du conseil de bon gouvernement.

Fin de l’usage des insecticides et des engrais chimiques

La terre est l’une des choses qui préoccupent le plus les villages et on a
donc commencé à organiser la production, non sans difficultés. En ce
moment, une commission de production travaille dans chaque commune, dans
le but d’organiser des projets d’élevage et d’agriculture. On forme
également des promoteurs aux techniques d’agriculture écologique et aux
soins vétérinaires.

Par exemple, quelques paysans nettoient désormais les terres touchées par
des épidémies "à coups de machette", sans insecticides ni pesticides, et
utilisent des engrais organiques et non chimiques.

Le conseil de bon gouvernement travaille depuis un an déjà, mais ici il y
a bien plus longtemps que cela que le travail est collectif. Les
zapatistes continuent à apprendre : "Nous continuons à apprendre à nous
gouverner nous-mêmes et à résoudre nos problèmes. Les villages apprennent
à commander et à surveiller notre travail et nous, nous apprenons à obéir.
Le peuple est sage et il sait quand on se trompe ou quand on sort de notre
rôle. C’est comme ça que nous travaillons", concluent les autorités
autonomes.

Les traductions ont été faites par Martine, Chantal, Christine, Antoine,
Michelle et Julio ; la relecture par Éva. Le CSPCL les remercie
chaleureusement.