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Mexique : 9e anniversaire du soulèvement zapatiste

Hermann Bellinghausen

samedi 11 janvier 2003

Mexique : 9e anniversaire du soulèvement zapatiste

Plus de 20 000 Indiens demandent au président Fox :
Où est la paix ?
Le commandement de l’EZLN rompt le silence
et occupe San Cristóbal.

San Cristóbal de las Casas, 1/1/2003. Dans la concentration
la plus importante jusqu’à maintenant des bases d’appui de
l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), plus de
20 000 Indiens et paysans ont littéralement pris, cette
nuit, la ville de San Cristóbal. Venus de toutes les
régions de l’État, machettes en main, les Tzotziles,
Tzeltales, Choles, Tojolabales et Zoques ont marché tout au
long de l’avenue Insurgentes pendant les trois heures qu’il
leur aura fallu pour remplir la place centrale de la ville en une file qui paraissait interminable.

La manifestation s’est conclue par une intervention
publique présidée par la comandancia du mouvement
zapatiste. Les commandants Esther, David, Tacho, Fidelia,
Omar, Míster et Bruce Lee s’adressèrent à la foule en sept
discours qui, s’il subsistait un doute, rompent
complètement le silence de l’EZLN qui a presque duré deux
ans. Par ce moyen, le Comité clandestin révolutionnaire
indigène (CCRI) de l’EZLN a réitéré son appui au sous-
commandant Marcos. "Nous vous disons que, quand le sous-
commandant Marcos affirme qu’il soutient la lutte politique
des peuples, nous l’affirmons tous ensemble, hommes, femmes
et enfants zapatistes
", déclara le commandant Mister.
La commandante Esther adressa quant à elle "quelques mots"
à M. Vicente Fox : "Je te dis seulement que le peuple est
désenchanté des mensonges que tu fais.
"

Après avoir mentionné les menaces d’expulsion des Montes
Azules, enveloppée du même châle blanc et fleuri qui a fait
le tour du monde depuis la tribune du Congrès de l’Union,
il y a près de deux ans, la commandante demanda : "Où est
la paix ? Il ne t’importe pas qu’ait été perdus les efforts
de ceux qui t’ont fait président.
"

Peu de jours avant, les Indiens disaient : "Il va falloir
que la ville de San Cristóbal se fasse plus grande pour que
nous puissions y entrer tous.
" Cette nuit a prouvé qu’il ne
s’agissait pas là d’une fanfaronnade : les zapatistes
débordèrent des rues et ne tinrent pas tous sur la place de
la cathédrale. Selon les experts, il peut y entrer quelque
18 000 personnes. Aujourd’hui, ça ne fut pas suffisant. Des
milliers d’Indiens ont dû rester dans les rues
environnantes pendant toute la concentration.

La manifestation s’est conclue peu avant minuit avec des
milliers de torches illuminant la nuit de leurs flammes. Et
il recommencèrent à faire résonner leurs machettes, leurs
haches de bûcheron et autres instruments de travail.

Dès le matin, des milliers d’Indiens venant des montagnes
avaient commencé à se rassembler aux alentours de la ville,
mais la marche ne commença que vers 18 heures, quand
arrivèrent les derniers contingents, provenant de
l’aguascalientes de la Realidad, qui avaient fait près de
quinze heures de route.

Les consignes, qui se multiplièrent toute la journée par
voie de banderoles et d’affiches, furent distribuées toute
la nuit par les bases d’appui zapatistes. "Les trois
pouvoirs du gouvernement sont racistes. Fox pareil à
Zedillo. Le PAN pareil au PRI.
" Plus d’une fois ils ont
scandé "Non au terrorisme de Bush et Ben Laden" et proclamé
leur appui à la lutte politique du peuple basque.

Ils soulignèrent l’expression de leur admiration pour "les
rebelles d’Argentine
", et proclamèrent "la globalisation de la rébellion et de la dignité". Ils appuyèrent
également "la lutte [des paysans] de Salvador Atenco" (sans le "San"), leur demandant de "ne pas cesser de lutter, parce que les zapatistes veulent la liberté", comme aux désobéissants italiens. En Italie, des milliers d’entre eux se sont réunis cette nuit pour suivre en direct l’action zapatiste à San Cristóbal.

Criant des vivats au sous-commandant Marcos, au CCRI, aux
communes autonomes et aux insurgés de l’EZLN, les
manifestants firent clairement écho au message que les
commandants David et Omar ont lancé vers minuit : "Nous
venons vous dire que nous sommes ici, et que nous sommes
toujours vivants. Nous ne nous sommes pas rendus. Nous ne
sommes pas désunis ni en dispute. Pourquoi nous
disputerions-nous alors que nous avons encore quelqu’un
contre qui nous battre ?
"

En appelant plus d’une fois "mauvais gouvernement" celui de Vicente Fox, les zapatistes de près de 40 communes
autonomes ont exprimé de fortes critiques à l’endroit des
partis politiques qui, pour leurs intérêts respectifs, se
sont refusés à approuver la loi Cocopa, "parce qu’il ne
leur convient pas qu’il y ait la paix au Chiapas
".

Dans ce qui fut le plus dur des discours, le commandant
Tacho a appelé le sénateur paniste Diego Fernández de
Cevallos "avocat de criminels" et il l’a accusé de
s’opposer à la paix au Chiapas "parce qu’il veut être
président, et ce avant 2006
", à la place de Vicente
Fox, "et convertir le pays en une grande propriété privée
[hacienda]" Du sénateur priiste Manuel Bartlett, Tacho a
dit qu’il s’opposait à la loi Cocopa et à la paix pour
contenter les autorités américaines, qui mènent une enquête
sur lui pour narcotrafic.

Par rapport au PRD, il a dit que ce parti a appuyé
unanimement au Sénat la loi dite Bartlett-Fernandez de
Cavallos-Ortega "en échange du gouvernement du Michoacán",
il a signalé que, "si un seul sénateur avait dit non au
dictat
", la loi aurait dû être discutée à nouveau.

Esther, s’adressant au commissaire pour la paix, Luis
H. Alvarez, lui dit : "Tu pouvais choisir d’être comme
Camacho ou comme Rabasa, et tu as choisi d’être comme
Rabasa.
" Elle annonça que les communautés de l’EZLN ne lui
permettront pas de passer sur les territoires qu’elles
contrôlent, pour "répartir de l’argent dans les
communautés
" afin de les diviser, et dire que les
zapatistes sont "divisés" et "autres mensonges".

(...)

La commandante Fidelia a adressé un message émouvant aux
femmes "exploitées, dépréciées et violées", et le
commandant Mister a revendiqué le droit des Indiens à
connaître la situation du monde, "à penser et décider". Il
a traité le gouvernement de "raciste" pour les avoir
accusés de ne pas connaître le monde et de ne pas avoir le
droit de parler, par exemple, de la lutte du peuple basque.
Devant "la globalisation de la mort" qu’imposent les
puissants, Mister a proclamé le droit de tous "à globaliser
la liberté
".

Aux zapatistes il a dit "nous n’avons pas peur de parler de
la lutte politique du peuple basque
", et il a exprimé un
appui spécial à l’autodétermination du Venezuela et "au
peuple rebelle d’Argentine
".

La ville de San Cristóbal a reçu en silence, portes et
fenêtres fermées, la manifestation zapatiste, et ses
habitants écoutèrent le résonnement des machettes et les
milliers de voix des irréductibles. Comme a dit le
commandant Bruce Lee, "nous n’avons pas besoin de demander
la permission au gouvernement pour être libres
" et,
défendant le droit humain universel à la rébellion, il a
ajouté : "Nous n’avons pas à demander la permission pour
quoi que ce soit
."

La manifestation zapatiste de ce soir est également
l’affirmation de l’appartenance au monde et de la force
civile plus profonde des peuples indiens du Mexique
moderne. Ils savent qu’ils sont capables d’enseigner au
Mexique et au monde, et pas seulement d’apprendre.
Alors que se remplissait la place de San Cristóbal cette
nuit, une voix au micro demanda : "Compagnons, serait-il
possible pour ceux qui sont plus à l’avant d’avancer
encore ?
" C’est une belle expression métaphorique de ce qui
pourrait suivre après cette nuit, qui s’est terminée en
flammes et en fumée sur la place, et en un écho de voix et
d’instruments de travail (soit de lutte paysanne et
indienne). Le zapatisme civil indien est un fruit mûr. Le
racisme des puissants ne pourra plus les arrêter. "Cette
lutte commence à peine
", a dit en tzotzil et en castillan,
David, lors de la dernière intervention des commandants
zapatistes.

Et la nuit s’est inondée de torches. "Faisons grande la
lumière pour que les peuples puissent voir que nous
maintenons la rébellion
", a dit David pour conclure.

Hermann Bellinghausen, pour "La Jornada" (Mexico).

Diffusion CSPCL.