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UN MEGAPROJET SUR LES TERRES DE ZAPATA
samedi 13 février 2021
UN MEGAPROJET SUR LES TERRES DE ZAPATA
Aux abords de la rivière Cuautla, dans la municipalité d’Ayala, 100 mètres de tuyauterie en ciment restent à l’air libre, témoignage silencieux de la résistance des villages nahuas au Projet Intégral Morelos (PIM). Le projet de centrale énergétique est pratiquement terminé, mais ces 100 mètres d’aqueduc qui doivent amener l’eau de là à la centrale thermoélectrique de Huexca n’ont jamais pu être installés du fait de l’obstination des ejidatarios que se refusent à arrêter de semer la terre.
La lutte des villages nahuas de Morelos, Puebla et Tlaxcala contre la construction d’une centrale thermoélectrique, d’un gazoduc et d’un aqueduc a débuté en 2012, lorsque des communautés entières se sont organisées contre l’imposition du projet par les gouvernements fédéraux émanant du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et du Parti d’Action Nationale (PAN), qui ont opté pour la répression et l’incarcération afin de démarrer les chantiers inclus dans le PIM. Les villages affectés ne se sont pas avoués vaincus et ont continué à mener la lutte juridique et la mobilisation sociale, ce qui a permis jusqu’à aujourd’hui d’empêcher leur mise en service.
Dans ces trois États affectés par le PIM, Andrés Manuel López Obrador avait gagné de manière éclatante les élections présidentielles de 2018. Morelos et Tlaxcala faisaient même partie des dix États où les votes ont été les plus importants. Parmi les villages nahuas affectés, plusieurs personnes confirment avoir cru en lui, vu qu’en mai 2014, celui qui était alors président du Conseil National du Mouvement de Régénération Nationale (MORENA) avait réalisé une tournée dans le Morelos et, durant un meeting à Yecapixtla, avait fait référence à la centrale alors en construction : « Moi, ici, je veux vous faire savoir que nous allons défendre les villages de toutes nos forces. On ne veut pas de ce gazoduc, on ne veut pas de cette centrale thermoélectrique, et on ne veut pas non plus des mines qui vont détruire le territoire et contaminer les eaux. Nous allons vous soutenir de toutes nos forces, vous pouvez compter sur nous. Le Mexique n’est pas un territoire à conquérir, le Mexique n’est pas là pour que des étrangers viennent ici pour s’approprier de tout. Qu’est-ce qui leur prend ? C’est comme s’ils allaient à Jérusalem pour y construire un dépotoir de déchets toxiques ou une centrale nucléaire », avait-il déclaré durant un discours incendiaire, au milieu des applaudissements.
Une fois élu président du Mexique, lorsque les communautés lui demandèrent d’annuler le projet et qu’il se souvienne de sa promesse, il fit savoir qu’il leur ferait part d’une proposition, sans qu’ils sachent encore « ce qu’ils avaient entre leurs mains », explique Samantha César, membre du Front des Villages en Défense de la Terre et de l’Eau (FPDTA) Morelos, Puebla et Tlaxcala.
Le 8 février 2019, durant sa conférence de presse matinale, le président mexicain annonçait la réalisation d’une consultation publique afin de mettre en service la centrale thermoélectrique de Huexca, consultation prévue pour les 23 et 24 février. Deux jours plus tard, il se rendait au centre de baignade El Almeal, à Cuautla, afin d’expliquer le projet et la consultation.
López Obrador fit alors savoir que si la centrale n’était pas mise en service, ce serait près de 4 milliards de pesos d’argent du peuple qui seraient perdus. « Ecoutez-bien, radicaux de gauche, qui pour moi ne sont rien de plus que des conservateurs », éructa-t-il à la face des mêmes personnes auprès desquels il s’était engagé, en 2014 : « si n’est pas utilisée la centrale thermoélectrique de la Commission Fédérale d’Électricité, une entreprise de la nation, au lieu d’avoir de l’électricité pour éclairer toute le Morelos nous devrons continuer à acheter l’électricité aux compagnies étrangères, je le dis clair et net, donc au moment de voter pensez bien à cela et seulement à cela », fit-il savoir.
Sur place, parmi les gens agglutinés à l’arrière, une banderole à la main, le défenseur nahua Samir Flores Soberanes ne cessait pas de crier sur le Président.
Le point de bascule
Dans la cour intérieure de sa maison, au centre du village d’Amilcingo, Morelos, ce 20 février après-midi, Ofelia sèche ses larmes alors qu’elle se prépare à se rendre à la veillée funéraire de Samir Flores Soberanes.
« Il nous a laissé comme consigne que lorsqu’il ne serait plus là, qu’on soit plus nombreux à se lever, qu’on ne soient pas effrayés, qu’on ne se laisse pas humiliés. Nous, le peuple, ils nous ont frappé là où ça fait le plus mal, ils ont tué le meilleur d’entre nous, un grand combattant qui avait des yeux pour tous », dit-elle, sans cesser de frotter ses mains abîmées par le travail des champs.
A 5h50 du matin, ce 20 février, trois jours avant la consultation présidentielle officiellement annoncée, Samir Flores, défenseur du territoire nahua et animateur de la radio communautaire locale, était assassiné dans la cour intérieure de sa maison.
Son enterrement prit la forme d’une immense marche de protestation exigeant la justice et la suspension définitive du projet. L’exigence principale du Front des villages en défense de la terre et de l’eau [« Frente de Pueblos en Defensa de la Tierra y el Agua (FPDTA) Morelos, Puebla y Tlaxcala »] fut que la consultation programmée soit annulée, mais il ne reçut aucune écoute, et l’exercice citoyen se déroula au milieu des manifestations, de l’incendie des bulletins de vote et des survols des hélicoptères de la police.
Dans les communautés directement touchées par le projet, le rejet l’a emporté, et le gouvernement (qui s’était ouvertement positionné en faveur de la mise en route du projet) a perdu, bien que les chiffres officiels [collectés dans tout l’État du Morelos] aient avalisés la mise en marche de la centrale thermoélectrique. Et c’est à ce moment là que se sont jointes les deux indignations : celle de l’assassinat de Samir Flores, et celle du questionnement du processus de consultation, donnant forme à l’étape actuelle de lutte et d’organisation communautaire. Un processus qui, selon Luis Hernández Navarro, coordinateur éditorial du quotidien La Jornada, « atteint son moment paroxystique le 10 avril, lorsque le président López Obrador ne peut pas se rendre au village de Chinameca pour réaliser la cérémonie officielle en l’honneur du centenaire de la mort d’Emiliano Zapata, alors que le gouvernement avait justement dédiée officiellement cette année en son honneur ».
La trahison et la consultation
Le 10 avril 2019, dans l’ancienne hacienda de Chinameca, eut lieu la commémoration du centenaire de l’assassinat et de la trahison du général révolutionnaire Emiliano Zapata. Une grande estrade vide portant le sceau officiel de la présidence de la République, installée au milieu d’une place sans âme qui vive, est resté comme un témoignage muet de l’intention du président Andrés Manuel López Obrador de venir ce jour-là agiter le souvenir du fondateur de l’Armée libératrice du Sud, comme il l’avait annoncé quelques semaines auparavant en présence de membres de la famille d’Emiliano Zapata.
Ce jour là, le président avait été déclaré persona non grata par plus de cent organisations indigènes, paysannes et populaires membres de l’Assemblée émergente nationale contre la violence d’État et pour l’auto-détermination des peuples, du fait du « manquement à la parole donnée en 2014 » de ne pas soutenir la construction de la centrale thermoélectrique de Huexca. Depuis Amilcingo, où ces organisations s’étaient réunies le 11 mars, celles-ci avaient annoncé qu’elles ne permettraient pas « que la mort de notre leader du Sud soit insultée par la présence d’une personne cherchant à installer des projets mortifères en terre zapatiste ».
Regroupés au sein du Congrès National Indigène (CNI) et d’autres organisations en défense du territoire, des milliers de personnes s’étaient rendues à Chinameca, alors que la cérémonie officielle avait été décalée dans la capitale de l’État du Morelos, à Cuernavaca. L’occupation de l’endroit où Zapata fut assassiné cent ans auparavant fut vécue comme une victoire.
Depuis l’estrade, la nahua Teresa Castellanos, l’une des têtes les plus connues de la résistance et menacée de mort, elle ainsi que ses filles, fut alors implacable au sujet de la figure présidentielle : « Nous sommes contre Andrés Manuel López Obrador, parce qu’il est contre nous. Nous, nous ne sommes pas venus lui faire la guerre, c’est lui qui est venu nous la faire. Nous, nous voulions parler avec lui et lui s’est rendu sourd. Aujourd’hui nous ne voulons pas parler avec lui, aujourd’hui nous voulons que le Projet Intégral Morelos soit retiré de nos communautés et de nos territoires ».
Les villages réunis à Chinameca détaillèrent alors un par un tous leurs griefs durant cet événement en opposition marquée au gouvernement de López Obrador, organisé par ces mêmes indigènes considéré par ce dernier comme des « radicaux de gauche ». Un acte chargé de symboles, qui réunit jusqu’aux parents des 43 disparus d’Ayotzinapa et aux paysans de San Salvador Atenco. Tous rendant hommage non seulement à Zapata, mais aussi à Samir Flores, emblème de la lutte assassiné le 20 février à Amilcingo. « Nous ne savons pas qui a tué Samir, mais nous savons qui l’a pointé du doigt », fit savoir pour sa part María de Jesús Patricio, porte-parole du Congrès National Indigène – Conseil Indigène de Gouvernement (CNI-CIG).
Arriva également jusque sur place le message envoyé par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN), dans un communiqué signé par le sous-commandant Moisés et lu par Marichuy : « Les mauvais gouvernements viendront et s’en iront, mais la couleur de la terre persistera, et avec elle toutes les couleurs de celles et ceux qui dans ce monde refusent la résignation et le cynisme, de celles et ceux qui n’oublient pas ni ne pardonnent, qui notent et font le compte des agressions, des emprisonnements, des disparitions, des morts et des disparus ».
La caravane des protestataires se déplaça ensuite à Huexca, où se dresse l’enveloppe d’acier à l’origine du mécontement. Et là, face à la centrale thermoélectrique, ceux-ci procédèrent à sa clôture symbolique et réalisèrent un meeting politique, tandis que les activistes peignaient en rouge sur le sol et les murs différents slogans : « Assassins », « De l’eau oui, une thermo non ! » ou « Ici il y a un volcan, bande de cons ! ».
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Cette traduction en cours est un extrait du travail de documentation des résistances contre les mégaprojets au Mexique mené à bien par l’équipe du quotidien digital Desinformemonos dans le cadre du projet « Hablan los pueblos » / « les peuples ont la parole »
Parmi les principales entreprises qui seraient bénéficiaires de la construction du gazoduc et du « Projet Intégral Morelos », on trouve les entreprises basques et espagnoles du secteur énergétique Elecnor et Enagas, contre lesquelles une campagne de mobilisation a été lancée en Espagne en 2019 ; l’entreprise italienne Bonatti, constructrice de gazoducs et impliquée dans différents scandales financiers en Lybie et au Moyen-Orient ;
Mais aussi l’entreprise française Saint-Gobain, qui a exercé un énorme lobbying durant de nombreuses années pour la mise en œuvre de ces projets d’infrastructure, à même de mettre en valeur ses unités de production industrielle de vitres dans la région.
Cuautla et l’État mexicain du Morelos sont en effet la principale implantation de la multinationale française Saint-Gobain en Amérique latine, avec plusieurs sites industriels sur place et des milliers d’employés locaux. A l’invitation expresse de l’entreprise, l’ancien gouverneur du Morelos Graco Ramirez (aujourd’hui poursuivi en justice pour ses gigantesques détournements de fonds) s’était notamment rendu en France en 2015, où il avait été chaleureusement remercié par le directeur général de Saint-Gobain pour son investissement dans la construction du gazoduc et de la centrale thermoélectrique (journal électronique « Morelos habla », éditions du 26 juin 2015 et du 1er décembre 2016).
La certitude alors apportée quant à l’approvisionnement à moyen terme en gaz industriel qui, selon Saint-Gobain, diminuerait ses frais fixes de 30%, furent alors décisifs dans la décision prise par l’entreprise d’investir plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires dans la construction d’une nouvelle ligne de production de dernière génération, dite « Coater Jumbo”, et inaugurée à Cuautla quelques jours après la mort de Samir, le 28 février 2019.
Bien que l’on en sache encore peu sur l’implication de Saint-Gobain dans les scandales de corruption touchant les différentes autorités gouvernementales du Morelos, sa promotion ouverte du gazoduc et de la centrale thermoélectrique est manifeste. Une source de danger évidente dans cette région agricole située au sud de la ville de Mexico, à quelques encablures d’un des principaux volcans en activité du Mexique, le Popocatepetl , et dans une zone chaque fois plus dévastée par la multiplication des parcs industriels, attirés par la proximité de la capitale et le bas coût de la main d’oeuvre locale.
Ce mépris de la vie des peuples indigènes, de leurs territoires et de leurs droits, c’est aussi celui d’Anne Grillo, ambassadrice de France au Mexique, venue inaugurer en grande pompe le nouveau site industriel quelques jours après l’assassinat de Samir, ou celui de Dominique Azam, ancien maire du village de Requista dans l’Aveyron, et aujourd’hui délégué général de Saint-Gobain au Mexique.
Dans l’esprit de nombre d’habitants du Morelos, la tentative de colonisation française du Mexique au 19e siècle reste ancrée dans les souvenirs. Cuernavaca, la capitale de l’Etat, avait en effet servi de résidence secondaire à l’empereur Maximilien, le protégé de Napoléon III, et les forces armées françaises avaient alors posté leurs garnisons dans tout l’Etat. Mais ce qui pour nous est un passé honteux reste au contraire un motif d’orgueil et une pratique actuelle, au Mexique comme ailleurs, pour les élites françaises néo-coloniales et pour leurs multinationales.
A nous alors de prouver qu’ “en bas, à gauche”, d’autres solidarités existent contre ces mégaprojets coloniaux, en solidarité aussi avec les familles de victimes de la répression, comme la femme de Samir, veuve et mère de 4 enfants, ainsi qu’aux côtés des communautés qui luttent pour leur autonomie et leurs formes d’auto-gouvernement, comme c’est par exemple le cas à Amilcingo.
NON AU GAZODUC, NON A LA CENTRALE THERMOÉLECTRIQUE !
VIVE LA RESISTANCE DES PEUPLES NAHUAS DU MORELOS, DE PUEBLA ET DE TLAXCALA !
VIVE LA SOLIDARITE, VIVE L’AUTONOMIE !