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Après 17 ans. (La Section milicienne Ixchel-Ramona)

lundi 13 septembre 2021

Après 17 ans. (La Section milicienne Ixchel-Ramona).

Septembre 2021.

Parmi les membres de La Extemporanéa se trouve une section de miliciennes. En plus de faire partie des groupes d’« Écoute et Parole », elles se chargeront de la sécurité de l’aéroportée et de participer à une ou plusieurs rencontres de foot avec des équipes féminines de la géographie européenne.

Il y avait 196 miliciennes inscrites pour voyager. Une vingtaine avaient moins de 18 ans, mais elles se sont préparées pour des voyages postérieurs et pour les continents d’Asie, d’Océanie, d’Afrique et d’Amérique, prévoyant qu’elles seraient alors majeures pour pouvoir obtenir un passeport.

Les difficultés pour obtenir leurs documents officiels (toutes sont « extemporáneas ») et les constants allers-retours dus aux idées incongrues des « fonctionnaires » les ont obligées à abandonner cette tentative. Quelques-unes sont mères célibataires et doivent travailler pour subvenir aux besoins de leurs enfants. La majorité travaille pour aider leur mère et leurs frères et sœurs plus jeunes. La préparation a aussi été un problème, parce qu’il s’est avéré que ce n’était pas une balade, mais qu’il fallait se préparer pour effectuer un travail d’Écoute et de Parole. Le plus difficile a été d’apprendre à écouter.

Il en est resté 37. Deux mineures s’y sont ajoutées : Defensa (15 ans) et Esperanza (12 ans). Elles sont donc 39 miliciennes, au total. Elles ont été cantonnées 3 mois à la Pépinière à s’entraîner, à apprendre, à répéter et à attendre que s’ouvre la possibilité du voyage : un lieu où arriver en Europe. Elles sont toutes d’origine maya et elles parlent tzeltal, tzotzil, cho’ol, tojolabal et castillan. Quelques-unes ont plus de 25 ans, la majorité a entre 18 et 21 ans. Leurs aptitudes footballistiques sont un secret d’État, mais leur volonté de se battre est visible.

Aucun homme adulte ne pouvait entrer sans autorisation dans le lieu où elles étaient cantonnées. Dans le cas où, désorienté, un homme entrait, il était immédiatement encerclé par un groupe de miliciennes et était « exhorté », avec le solide argument des bâtons et des lance-pierres, à sortir immédiatement.

Les premiers jours de leur préparation et de leur adaptation furent difficiles. Les suivants le furent encore plus. Loin de leurs familles, de leurs amours et des repas de leurs villages, elles ont supporté l’incertitude, la faim, les maladies, les changements de climat, la confusion de partager leur vie avec des personnes différentes, la surprise d’apprendre de nouvelles choses et l’émerveillement de se rendre compte qu’elles pouvaient faire ce qu’elles ne savaient pas qu’elles pouvaient faire. Par exemple : écouter. Et pardonnez-moi si j’insiste une fois encore sur le fait d’écouter, mais je regarde là-bas à l’extérieur et j’entends que tout le monde veut parler — ou plutôt crier — et personne, ou presque, n’est disposé à écouter.

Elles, mes compañeras combattantes, ont laissé derrière elles leurs 17 ans, plus ou moins loin dans le calendrier. On ne peut mettre en doute leur identité : elles sont ZAPATISTES.

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En fait, non.

Une milicienne prend la parole lors de l’assemblée générale de la Extemporánea, au moment d’évaluer ce qui a été réussi ou pas, dans le cours d’« Écoute et Parole ».

« Moi, je ne savais pas tout ce que vous racontez. Je pensais que ça avait toujours été comme ça, que je pouvais aller à l’école, que je pouvais avoir un petit ami sans être obligée de me marier, que je pouvais me marier si je le voulais, ou ne pas me marier, que je pouvais m’habiller comme il me plaît, que je pouvais participer, que je pouvais apprendre, que je pouvais enseigner. Moi, je pensais que ça avait toujours été comme ça, comme maintenant, que nous avons des droits et pas seulement des devoirs. Mais j’ai écouté ce qu’a raconté la compañera sur la façon dont on vivait à l’époque des grands propriétaires terriens. J’ai écouté ce qu’a coûté de se préparer pour lutter. J’ai écouté ce qu’a coûté la guerre. J’ai écouté comment s’est faite l’autonomie. Donc moi, ce que je pense, c’est que c’est à moi de me préparer pour défendre ça. Quoi que ce soit, pour que cette époque révolue ne revienne plus jamais. Moi, je pensais qu’on naissait ainsi, avec la liberté. Et en fait, non, en fait, il a fallu lutter, en fait il faut continuer de lutter. Autrement dit, il n’y a pas de repos. »

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Pour la défense de 17 años.

Je n’en suis pas très sûr, mais je crois que c’était en 2018.

À l’occasion de la Première Rencontre de Femmes qui Luttent, il fut décidé que les miliciennes se chargeraient de la sécurité. Elles furent convoquées pour s’entraîner. Dans les défilés, c’était du grand n’importe quoi. Aussi variés que les langues qui leur donnent une origine et un but, leurs pas étaient désordonnés, sans rythme. Elles avaient beau s’entraîner, il n’y avait aucune amélioration. Désespéré, je décidai que peut-être avec un rythme musical, elles pourraient uniformiser leur pas. Les tercias1 étaient en train de tester la sono. Je leur demandai si elles avaient amené de la musique. « Seulement des cumbias et du reggaeton », me répondirent-elles. « À part ça, autre chose », insistai-je. « Rien d’autre », répondirent-elles en riant. J’ai demandé aux miliciennes, pour savoir si l’une d’entre elles avait dans son portable une chanson que je pourrais utiliser. Chuchotements et rires complices entre elles. Elles ont tardé. Finalement, l’une d’elles dit : « Seulement des cumbias », « Bon », je me suis dit, résigné, « Quelles cumbias vous avez, donc ? Et ne me dites pas celle du Moño Colorado parce que vous allez toutes mourir misérablement » — À nouveau petits rires et chuchotements en 4 langues mayas différentes. Après un moment « Juste une, celle de 17 años. » « Vous avez toutes une seule cumbia et c’est la même ? » « Oui, celle de 17 años. » « Bon, d’accord, celle-là, alors donnez-la aux tercias [1] pour qu’elles la mettent sur le grand ampli. Et formez les rangs pour reprendre l’entraînement. »

Les premiers accords commencent, elles lèvent et croisent leurs bâtons et, alakazam, elles commencent à défiler au même rythme, sans perdre la cadence. Plus tard, je leur ai demandé si c’était vrai qu’elles n’avaient que cette cumbia. « Oui », dirent-elles, « quand on aura du réseau ou quand viendront les autres compañeras on va en avoir d’autres, comme celle de Cómo te voy a olvidar. (Comment vais-je t’oublier, ndt).

Je demandai ensuite la liste des miliciennes par caracol, avec leur âge, pour les regrouper par langues et par âge. La très grande majorité avait entre 15 et 17 ans.

Elles ont maintenant entre 18 et 21 ans, personne ne les a obligées à se marier, elles ont des amoureux ou pas — ça ne les inquiète pas — elles tombent amoureuses et en reviennent, elles brisent des cœurs ou on le leur brise. Elles savent que personne ne peut les obliger à faire ce qu’elles ne veulent pas, et elles savent se défendre. On leur en a appris un peu sur les points faibles des hommes au cas où elles devraient utiliser la défense physique. Elles savent aussi quoi dire aux machos pour leur faire mal, au cas où elles devraient utiliser la défense psychologique. Ne me demandez pas qui leur a enseigné ces “secrets” masculins.

Interrogées sur si elles ont un petit ami, la majorité a dit oui. L’une d’elles a dit : « Cheb » (« Deux » dans sa langue). Celle qui était à côté d’elle a commencé à lui dire quelque chose à voix basse, alors la compañera a corrigé : « Non, ocheb » (« trois », dans sa langue). Une autre : « Bayal » (« Beaucoup »). Une autre tarda à répondre, car, dit-elle, elle n’arrivait plus à les compter. Toutes les trois rirent de bon cœur.

Pour résumer : elles ont eu 17 ans, et à cet âge-là, cette cumbia — des Ángeles Azules, je crois — les a accompagnées dans leurs amours et désamours. Les personnes qui critiquent cette cumbia ou qui en demandent la censure, ont peut-être oublié ce que c’est que d’avoir 17 ans. Elles ont peut-être oublié que, oui, les relations peuvent être celles d’un prédateur qui saigne sa proie — et cela, à n’importe quel âge — . Mais elles peuvent aussi être l’envie et la liberté d’aimer et de ne plus aimer. Découvrir ainsi qu’on peut avoir en guise de cœur une fleur aigre-douce et en même temps, une blessure qui ne se referme pas. En plus, bien sûr, elles devraient donc aussi demander qu’on censure Violetta Parra et sa chanson Volver a los 17.

Maintenant, après 17 ans, il se peut que les miliciennes dédicacent Cómo te voy a olvidar à cet amour passé ou présent.

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Pénélope Subvertie.

Je leur demandai ce qu’elles avaient dit à leurs copains. Elles me répondirent ainsi : « S’il m’aime vraiment et que ce n’est pas un mensonge, il n’a qu’à m’attendre, et sinon, alors, tant pis, je m’en cherche un autre ». Bref, pas question de tisser et détisser l’éternelle toile de la vaine attente. Une preuve de plus que « les canards tirent sur les fusils ».

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Le consentement.

Aux compañeras, on leur dit que personne ne peut les toucher sans leur consentement explicite. Ni leur prendre la main, ni mettre la main sur leurs épaules, ni rien. On les a, par exemple, instruites sur comment se défaire d’une main d’homme sur leur épaule, peu importe qu’elle soit d’un supérieur ou non. Pareil pour leur image : personne ne peut les prendre en photo ou les filmer sans leur consentement. Encore moins la publier. On leur a montré la vidéo qui apparaît à la fin de ce texte et on leur a demandé si oui ou non, on pouvait la publier. Elles se sont réunies par caracol et par langue. Elles en ont discuté et se sont mises d’accord, à l’unanimité, pour la publier. Vous voilà prévenu.e.s.

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À chacun sa façon.

Pour ma part, j’ai vécu dans l’erreur depuis cette année 2018. J’avais cru que le refrain de la cumbia 17 años disait « comme l’amour est triste, comme l’amour est triste ». Les sergentes m’ont détrompé : « C’est pas ça, Sup, ça dit « si c’est ça l’amour”, en fait la jeune fille ne sait pas, elle commence juste à apprendre », et elles rient.

Déjà dans les entraînements au défilé, avec La Carencia des Panteones, Le Lac des cygnes et la Cumbia del sapito [2], il a été démontré que la danse, comme la vie, peut traverser les murs les plus infranchissables.

Je ne sais pas, moi je dis que les cumbias sont comme les maillots de football. Avec des ciseaux, du fil et une aiguille, on les retouche pour qu’ils soient à notre goût : soit bien ajustés, soit plus amples.

Conclusion : À chacun sa façon, à chacun sa cumbia, à chacun son « pas de chat » (ou de Chat-Chien)… et à chacun son ska. Allez les gars, tous au trampoline !

J’en témoigne.

Le SupGaleano s’entraînant au « Chúntaro Style ».
(Oh, ben, chacun foule le sol comme il peut).

Mexique, septembre de l’an 501

Música : ALADEMOSKA – « Sembraremos Rebeldía » / Bersuit Vergarabat – « El Baile de la Gambeta »


[1les tercias sont promotrices de communication, elles font partie des Tercios compas (automédia zapatiste)

[2La Carencia, chanson de Panteón Rococó, groupe de rock ska mexicain. La Cumbia del sapito (Cumbia du petit crapaud)