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Comando Palomitas (Commando Pop Corn)

jeudi 16 septembre 2021

Comando Palomitas (Commando Pop Corn)

Septembre 2021

Je n’en suis pas certain, mais la légende situe la gestation de cette unité d’élite de l’euzèdélène voilà quelques lunes.

Bien que le commandement général zapatiste ait nié à encore et encore son existence, et range ces médisances dans le dossier des « Mythes géniaux ou pas » (aux côtés des légendes du Sombrerón, de la Xpakinté et des recettes gastronomiques du défunt SupMarcos), les rumeurs situent la naissance du désormais célèbre Commando Pop Corn dans le Caracol de Tulan Kaw, à la fin de l’année 2019.

Il paraîtrait que l’autoproclamé SupGaleano avait accaparé tout le maïs à pop corn du sud-oriental état mexicain du Chiapas. Et, bien que le susnommé prétexta ensuite que son plan était de saboter les grandes chaînes de cinéma et de les obliger à baisser le prix de cette marchandise tellement appréciée -et de faire interdire les absurdes variations qui proposent du pop corn saveur friture rance -, des enquêtes postérieures abondèrent dans l’hypothèse posée par le procureur (un être ressemblant extraordinairement à un scarabée), qui lors du procès proposa le mobile du crime : le SupGaleano voulait se goinfrer tout seul de pop corn. La subite et incompréhensible pénurie de sauce piquante faisait augmenter les soupçons.

Le procureur, appelé Don Durito -qui s’habillait comme le Fiscal de Hierro (Procureur de Fer) des frères Almohada (à ne pas confondre avec les Almada, ce ne sont pas les mêmes)-, déploya une brillante pièce oratoire pleine de références cinématographiques qui, il faut le reconnaître, par moments rappelaient Al Pacino, Tom Cruise, John Travolta et Matthew McConaughey (cf. les films de ces acteurs et la thématique de jurisprudence). L’accusé, faisant office de son propre avocat, fut à la hauteur et, de plus, ajouta des références à l’art dramatique. Le susnommé était en train d’argumenter comme Shui Ta / Shen Te face aux dieux (« La Bonne Âme du Se-Tchouan ». Bertold Brecht), quand arriva l’heure du pozol et le jury dans sa totalité s’absenta.

Voyant que justice ne serait pas rendue et que le méchant SupGaleano parviendrait à ses fins, la bande de Defensa Zapatista, avec la collaboration du Chat-Chien, prit d’assaut la cahute du SupGaleano et « expropria » non seulement plusieurs sacs de maïs à pop corn, mais aussi un nombre non négligeable de cartons de sauce piquante. Le bien-aimé Amado faisait alors ses premières incursions dans la bande de Defensa Zapatista (même s’il avait déjà débuté à Oventik en 2018, pendant le premier festival de ciné, quand il avait volé la vedette à Gael García Bernal), c’est ainsi qu’il forma, avec son ami Chinto, une sorte de succursale de la horde de Defensa Zapatista.

Dans le nouveau gang s’est autorecrutée Verónica, petite sœur d’Amado et dont on dit qu’elle est « l’aile radicale » du Commando (elle a pour habitude de porter des tatouages jusque sur les lèvres quand il lui arrive de tomber sur le bonbon acidulé qui les contient). Chuy et Cintia ont été recrutés après. Pendant un temps, Esperanza a dirigé la troupe, mais elle ne tarda pas à rejoindre, tout comme Defensa, l’équipe féminine de football des miliciennes. Le bien-aimé Amado a alors pris le commandement.

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Les mois d’avril et de mai s’écoulaient. L’unité qui serait ensuite baptisée « La Extemporánea » se préparait par centaines dans la Pépinière « Comandanta Ramona ».

Le SupGaleano reçut alors l’ordre d’éviter que les enfants embêtent leurs mamans pendant qu’elles suivaient le cours « Écoute et Parole ». Le susmentionné affronta ce nouveau défit organisationnel et conçut une réforme à l’inexistante loi organique de l’euzèdélène. Son objectif : leur donner une structure militaire et les instruire dans le difficile art du sabotage, la destruction indiscriminée et les braillements coordonnés et séquencés.

Il les appela et, d’une voix martiale, leur parla ainsi : « Vous avez entendu que le SubMoy a expliqué qu’il faut être organisé. Alors il faut que vous compreniez que même pour faire des bêtises, il faut s’organiser. À partir de maintenant vous êtes une unité militaire et quiconque n’obéira pas aux ordres recevra une punition qui sera de lui couper la tête avec une machette, émoussée pour que ça dure, et rouillée pour que ça s’infecte et que l’on doive faire une piqûre ».

Inutile de dire que la menace n’eut pas l’effet désiré. Cintia « balaya » du regard le Sup de bas en haut et lui tourna le dos. Chuy demanda s’il allait chercher une machette. Chinto parut évaluer les risques. Le bien-aimé Amado remonta le col de sa chemise et Verónica décida que c’était le bon moment pour pleurer à pleins poumons. En cho´ol, encore une fois.

Notre héros (attention : c’est moi « notre héros ») ne se découragea pas face à ce contretemps et, faisant étalage de ses amples connaissances en psychologie, arriva avec un seau de 20 litres, rempli de pop corn. La bande se rassembla et fit pression sur le SupGaleano avec le classique « il faut partager ». Mais le Sup répondit seulement : « je ne peux pas, c’est seulement pour les commandos ». Tou.te.s s’inscrirent immédiatement. Ceci fut la naissance officielle du Commando Pop corn en tant que tel.

Le Sup, prévoyant, avait des nounours en peluche et de puissants pistolets à eau. Il leur donna à choisir. Amado et Chinto choisirent les pistolets à eau ; Cintia prit l’ours en peluche qui, en plus, était de sa taille ; Chuy -comme à son habitude-, opta pour un petit cheval en plastique, qui, soit dit en passant, n’était pas prévu dans la distribution.

Alors que tout le monde s’attendait à ce que Verónica choisisse l’autre nounours, elle le rejeta, prit un des pistolets à eau, s’en alla et enleva à Chuy son petit cheval après l’avoir arrosé (à Cintia, elle ne put pas enlever le nounours, car elle l’avait déjà rangé « pour qu’il ne se mouille pas »), et elle attaqua Amado et Chinto. Trempée dans le tumulte de la bataille, Verónica alla voir sa maman pour qu’elle la change, mais sans prendre de pause elle s’élança contre ces satanés mecs -qui s’étaient retrouvés sans munitions, c’est-à-dire sans eau-, et les vainquit en une action fulgurante, qui fut applaudie par Defensa et Esperanza dans ce qu’elles appelèrent « victoire de genre ». Notre héros vit le potentiel belliqueux de Verónica et lui donna une carabine lance-balles à eau (de dernière génération).

Comme dit le sage proverbe -que notre héros inventa à ce moment-là- : « on ne vit pas que de pop corn, il y a aussi les sucettes et les bonbons au chamoy » ; il fut distribué au Commando tous types d’éléments pour sa formation de fer. C’est ainsi qu’arrivèrent des bonbons acidulés avec des décalcomanies de type tatouage en cadeau. Verónica fut la seule qui se les colla sans hésiter. Et, bien sûr, aussi la seule qui, en léchant la décalcomanie parce qu’elle avait un peu de poudre de chamoy, se tatoua la langue. Ce fut ainsi que Verónica, à trois ans, obtint, en plus du cho’ol et du castillan, la langue sino-japonaiso-coréenne.

Le redoutable Commando Pop corn est actuellement composé du bien-aimé Amado (10 ans et responsable du commando), de Chinto (10 ans et coordinateur des opérations), de Cintia (3 ans et docteure du groupe), de Chuy (3 ans, démolitions contrôlées) et de Verónica (3 ans, démolitions sans aucun contrôle).

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La première opération du CP fut l’au revoir de l’Escadron 421. Pendant que les bases de soutien criaient des vivas à l’Escadron et que le conseil des anciens protégeait avec la fumée de copal les futurs marins, le CP se consacrait à crier des consignes absurdes, encouragé par un individu de douteuse réputation, comme « Nous voulons du pop corn ! », « Nous luttons pour le pop corn ! », « Pour tous, tout. Pour nous le pop corn ! ».

Bien sûr qu’il y eut des plaintes et même une accusation formelle, mais Verónica commença à pleurer en cho’ol et le SubMoisés perdit patience et dit « faites taire cette enfant ». Le SupGaleano, faisant étalage de ses masters et doctorats en pédagogie infantile, proposa deux options : ou coudre les lèvres de la petiote ou lui donner du pop corn – car avec la bouche pleine de pop corn elle ne pourrait pas brailler-. Comme ils ne trouvèrent ni fil ni aiguille, ils lui donnèrent un sac de pop corn. Les pleurs cessèrent immédiatement. Mais, ô surprise, se rendant compte du résultat, le reste de la bande commença à pleurer aussi. Conclusion : la sous-lieutenante Angelina dut faire du pop corn pour en donner à tous.

L’histoire des tronçonneurs est assez semblable. Quand les enfants virent les insurgé.e.s couper le bois pour tailler les pirogues, ils commencèrent à jouer à la tronçonneuse avec des planches. En fait, la planche était la tronçonneuse. Leur optimisme était digne d’éloges : avec la planche-tronçonneuse, ils prétendaient abattre les montants métalliques des panneaux de basket. Mais, quand ils commencèrent à « jouer » pour voir qui allait scier l’autre, le SupGaleano se rendit compte, avec une profonde satisfaction, que la bande pourrait affronter avec succès une apocalypse zombie.

Quand le bien-aimé Amado se blessa le pied avec un clou, Verónica pensa que lui « soigner » le pied était une bonne idée, et elle demanda de l’aide à Chuy. Avec les planches, ils essayèrent de scier le pied d’Amado. C’est alors que Cintia informa le SupGaleano du fait qu’Amado « s’était cloué un clou ». Le Sup lui conseilla, pour voir si c’était vrai, de lui dire qu’il allait lui faire une piqûre. Si Amado partait en courant, cela signifiait qu’il faisait l’idiot et qu’il n’était pas gravement blessé. Cintia y alla et revint très vite et informa : Amado était toujours prostré (votre attention centennials -ou autre appellation-, elle a dit « prostré »). Le Sup prit son meilleur air de Doctor House et dit : « C’est grave, il faut opérer ». Et il conseilla à Cintia de lui couper les pieds… et la tête, car « si ça se trouve, il a mal à la tête ». Cintia fut d’accord. L’histoire aurait culminé avec un triomphe de la science médicale, avec une chirurgie majeure exécutée à 4 mains et deux planches en mode tronçonneuses, si les promoteurs de santé n’étaient arrivés et n’avaient emmené Amado à la clinique dans une civière, où ils lui mirent des bandes et je ne sais quels onguents.

Mais face à la frustration, Cintia ne s’avoua pas vaincue et choisit d’être la doctoresse du Commando. Comme le Sup ne trouva pas de déguisement de doctoresse pour jouer, mais seulement un de vétérinaire, Cintia se présenta avec celui-ci comme la médecin de la troupe.

Voyant la louable vocation pour la démolition de Verónica et de Chuy, on leur trouva deux tronçonneuses en plastique et un étui de mécanicien, avec une perceuse, des pinces, une scie à découper, un cutter, un tournevis, un marteau et une clef anglaise (le tout en plastique), qui avaient l’avantage de pouvoir être utilisés tant pour les opérations de chirurgie médicale, que pour réparer les tronçonneuses qui, bien entendu, « se sont cassées » dès le premier jour.

Sur ce, arrivèrent les bicyclettes . Tout le monde sait qu’un commando sans bicyclette ne peut pas se déployer avec rapidité et efficacité. Le problème, c’est qu’iels ne savaient pas faire de vélo. Le Sup ne leur apprit pas argumentant que « Est-ce que quelqu’un t’apprend à vivre ? Non, tu apprends en tombant ». Et ainsi : le Commando se couvrit d’égratignures, de bleus et de coupures, mais en quelques jours, iels parcourraient le terrain de basket sans difficulté.

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Quand l’Extemporánea fut informée que, enfin, on avait trouvé les vols et, le plus important, un endroit où atterrir en Europe, notre acclamé héros (moi-même) convoqua le Commando Pop Corn et leur dit : « Vous allez enfin partir dans quelques jours. Il est interdit de tomber malade ou de se faire mal. Vous devez faire attention à vous, parce que celui qui arrivera avec des égratignures n’aura pas de pop corn. C’est clair ? »

Pour montrer que c’était bien clair, Chuy dénonça Cintia qui était tombée de vélo. Cintia dit que c’était un mensonge de Chuy, Véronica l’avait poussée. Le bien-aimé Amado expliqua qu’iels se disputent pour un rien, qu’il suffit que l’un ou l’une des deux ait un jouet pour qu’iels se battent. Notre admiré paladin objecta : « Mais j’ai pourtant donné le même jouet à chacun.e, pour qu’iels ne se disputent pas ». Chinto fit sa mine de « il ne comprend vraiment rien à rien le Sup » et le bien-aimé Amado rendit sa sentence : « Comme si ça les intéressait, iels veulent le jouet qu’a l’autre ».

L’incomparable et idolâtré héros (toujours moi, mais plus humble si tant est que ce soit possible) les prévînt : « Bon, je vous ai déjà prévenu.e.s, si vous vous faites mal ou que vous tombez malades, vous ne partirez pas et vos mamans vont finir en pleurs parce qu’elles ne partiront pas non plus à cause de vous. Vous avez compris ? » Tou.te.s répondirent affirmativement.

Dès que le vaillant Sup eut tourné le dos, Chuy se mit à pleurer. C’est que Véronica lui avait mis une claque derrière la tête parce qu’il faisait le rapporteur. On demanda à Verónica si c’était vrai, et elle répondit que oui, sans le moindre signe de remords.

Désespéré, le Sup alla à sa cahute. Loin de s’avouer vaincu, il révisa sa riche bibliothèque de traités de psychologie, de géographie, de sciences occultes et sa collection de BD de Memín Pingüín et y retourna. Il convoqua le CP et leur montra sur une carte où étaient le caracol et la pépinière. Ensuite, il leur montra où est Madrid et où est Vienne. Ultérieurement, il traça une élégante ligne pour décrire le vol à venir.

Après une longue explication, le Sup se retira satisfait : Il avait réussi à convaincre le Commando Pop Corn. Les dernières paroles de notre héros résonnaient dans l’air : « Pourquoi se contenter de faire des bêtises et des dégâts dans un caracol, quand tu peux détruire tout un continent ? ».

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La prise de vue de la caméra s’éloigne. Le Commando Pop corn contemple le mapamundi tout en léchant avidement leurs sucettes de chamoy. Tzotz, Tragón et Pelusa, trois petits chiens qui ont pour habitude d’accompagner le CP dans ses incursions, surgissent et détruisent le document. Une rafale de vent soulève et fait voler un fragment sur lequel on lit « Traversée pour la Vie ».

Un final épique… et, bon, oui, un peu paradoxal.

Warning : ces deux derniers mois, le Commando Pop corn n’a pas prouvé la raison de son existence. Un Commando Pop corn sans maïs à pop corn est comme un vampire qui se console avec de la sauce tomate, il faut donc s’attendre à ce que, en arrivant en Europe… et bien… pourquoi le SupGaleano répète-t-il encore et encore le « Aló ? ¿Brennen Wien und Berlín ? », dans deux vieux talkies-walkies, avec Amado, qui est à seulement 10 mètres et qui dit qu’il n’entend pas. Évidemment, peut-être que s’ils mettaient des piles dans les appareils…

J’en témoigne.

Le SupGaleano

Chef Suprême, Leader Maximum, Notable Dirigeant, Grand Guide, Historique Historien, Sage Infaillible, Lumière Pérenne au Bout du Tunnel, Alpha et Omega -et Delta et Lambda-, Phare des Générations Présentes et Futures, Paladin de la Modestie, et Instructeur du Commando Pop corn.

(et, bon, aussi « Notre héros » dans ce récit épique, digne d’être étendu par les plumes de Martín Luis Guzmán et Léon Tolstoï)

Musique : Amanda Ventura-« The Way » (Harmonica Blues Solo), Led Zeppelin-« Immigrante Song », Creedence Clearwater Revival-« Fortunate Son »