Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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La Géométrie (?) - impossible - du Pouvoir au Mexique

Communiqué du CCRI-CG de l’EZLN

samedi 18 juin 2005

LA GÉOMÉTRIE (?) - IMPOSSIBLE - DU POUVOIR AU MEXIQUE

Ou est-ce la géographie ? Non, la géographie concerne le Nord, le Sud, le
Levant et le Couchant. Ou alors la géologie ? Non, elle, elle traite des
pierres (comme ce truc qui dit : "Quel joli petit caillou sur lequel
trébucher !"
) La géométrie, c’est affaire de surface, de volume, de
longueur, de largeur et de "honni(e) soit qui mal y pense". Hum ! Ça y
est, me revoilà à jouer sur les mots. C’est sans doute parce que beaucoup
sont ceux et celles qui ne vont pas aimer ce que nous allons dire. Nous
allons en effet nous référer à la prétendue différence entre la droite, le
centre et la gauche, en politique faite "d’en haut". Immédiatement, bien
sûr, ça se complique : extrême droite, droite modérée, droite
"confessionnelle", gauche "fidèle aux institutions", extrême gauche ou
gauche radicale, gauche modérée, centre, centre-gauche, centre-droite,
centre-centre, défense centrale et avant-centre. Mais, là-haut, tous
prétendent être l’un ou l’autre, selon le bon vouloir du nouveau diktat,
c’est-à-dire du "taux d’audience". De sorte que certains sont un jour à un
endroit et aussi bien le jour suivant à l’opposé. Ça fait même tourner la
tête de les voir sautiller d’un côté et de l’autre. Alors, une petite
pause. Ou une géométrie impossible.

Pour tenter de comprendre une telle géométrie, il faut à notre avis tenir
compte du fait que le capitalisme a engagé, dans cette phase de
mondialisation néolibérale, une véritable guerre mondiale, partout et sous
toutes ses formes. Cette guerre ne se contente pas de détruire, entre
autres, les rapports sociaux. Elle tente également de les restructurer
selon la logique des vainqueurs. C’est dans les décombres produits par
cette guerre de reconquête que gisent les bases matérielles et économiques
de l’État-nation traditionnel. Mais il n’y a pas que lui. Les instruments
et les formes de domination traditionnels (les rapports dominant-dominé et
les rapports dominés-dominés), eux aussi, ont été détruits ou sérieusement
endommagés. Semblable destruction affecte donc également la classe
politique traditionnelle et sa composition, ses rapports internes, ses
rapports avec le reste de la société (et pas uniquement avec les
dominants) et ses rapports avec les classes politiques d’autres pays (ce
que l’on appelle les relations internationales). De sorte que la guerre
néolibérale a transfiguré la politique traditionnelle et la fait marcher
au rythme des spots publicitaires. Or la destruction causée par la bombe
néolibérale dans la politique mexicaine a été si effective que, également
selon notre modeste point de vue, là dans la sphère de tout en haut, il
n’y a rien à faire. Ou alors si, des programmes comiques. Là haut, en
effet, il est censé par exemple exister un centre, une gauche et une
droite ; mais en période électorale, tout le monde vient s’entasser au
centre. Tout se passe comme si la géométrie rétrécissait et que tous
s’entassent au centre en hurlant : "J’EXISTE !"

"J’existe !", dit le PAN, le Parti d’action nationale.

Le PAN. Le parti de la nostalgie pour la lutte démocratique, pour Gómez
Morín et "l’humanisme politique". De la nostalgie pour l’Opus Dei, pour
l’ACIM et Canoa. De la nostalgie pour la guerre des Cristeros, le Saint
Suaire et la colline du Cubilete. De la nostalgie pour la bonne
conscience, les bonnes manières, les gens comme il faut. De la nostalgie
pour le triomphe de la culture et la rubrique Société dans les journaux
(quand elle était distincte de la rubrique policière). De la nostalgie
pour Maximilien, Charlotte, Elton John et l’époque où le Mexique était un
empire. De la nostalgie pour l’aspirine dominicale administrée par le
pédéraste de service, pour le "ring side" lors de la visite du (ou au)
pape et pour les retraites spirituelles du "sauvons le monde du méchant
diable communiste, soyons les soldats de Dieu !". De la nostalgie pour les
soirées de bridge, le thé-canasta, les chevaliers de Colomb. De la
nostalgie pour l’autodafé des bulletins de vote de 1988 et la cohabitation
avec le PRI. De la nostalgie pour un ordre du jour où ne figureraient pas
les zapatistes. De la nostalgie pour "La patrie, chef, c’est l’histoire
recluse dans un couvent !".

À l’instar du gouvernement fédéral actuel, le PAN est aujourd’hui dirigé
par l’organisation d’extrême droite "El Yunque". Le PAN historique et
toute sa nostalgie pour les familles bien au chaud sous leurs couvre-lits
douillets gît sous le poids de cette "Enclume". Et c’est cette même
organisation (qui l’eût cru ?) qui essaie de nous convaincre que le PAN
est aujourd’hui une organisation politique du centre. Aussi nous
présente-t-elle comme éventuels candidats à la présidence une
constellation de médiocres, où se distingue, honneur à qui de droit, le
triste "croupier" Santiago Creel Miranda - qui fut, si je ne m’abuse,
ministre de l’Intérieur dans la période Fox-Sahagún et que l’on peut
trouver maintenant pleurnichant dans les bras de la Coyote Fernández de
Cevallos. Une liste de précandidat où la seule qui ait quelques
possibilités réelles n’apparaît pas... Pour l’instant. Elle préfère tirer
les ficelles que le Yunque lui fournit pour se mettre sur les rangs.
D’abord, pour décrocher un poste qui lui confère l’impunité - impunité
promise par AMLO sans que personne ne lui ait rien demandé ; enfin, en
tout cas, pas publiquement-, et, ensuite, quand la baudruche Creel aura
fini de se dégonfler, pour céder aux clameurs issues des catacombes de la
droite l’implorant, la suppliant, lui demandant, exigeant qu’elle soit
candidate à la présidence du Mexique. Candidate du centre, bien entendu.

"J’existe !", dit le PRI, le Parti révolutionnaire institutionnel.

Le PRI, le parti du "développement stabilisateur". L’inventeur du système
de parti d’État, disséqué à l’époque par les analyses de José Revueltas,
Adolfo Gilly, Daniel Cosío Villegas et Pablo González Casanova. Le parti
de "Mister Amigou". Le parti de la répression des médecins, des cheminots
et des électriciens. Le parti du massacre du 2 octobre 1968 et de celui du
10 juin 1971. De la "guerre sale" des années 1970 et des années 1980. Le
parti des dévaluations et des fraudes électorales. Le parti de l’affaire
des ratones locos, de celle des casillas zapato, de l’Opération Tamal et
de la démocratie parlementaire réduite à la consigne "casque et matraque,
sandwich et boisson fraîche". Le parti du vol, du pillage, de la fraude et
de l’assassinat d’ouvriers, de paysans, d’étudiants, de professeurs et
d’employés. Le parti de Fidel Velásquez, Rodríguez Alcaine, Jonguitud,
Elba Esther Gordillo. Le parti de la colline del Perro. Le parti d’Absalón
Castellanos. Le parti de la fraude électorale de 1988 et du clan Salinas
de Gortari. Le parti de l’amendement à l’article 27 de la Constitution et
de l’entrée frustrée du Mexique dans le premier monde. Le parti du
massacre au marché d’Ocosingo. Le parti du laissé-pour-compte Aburto et de
Colosio, plus abandonné encore. Le parti de la trahison de février 1995.
Le parti de la TVA. Le parti d’Acteal, d’El Charco et d’Aguas Blancas. Le
parti du début du cauchemar à Ciudad Juárez. Le parti du "Je signe un
accord et je ne le respecte pas" et celui du "J’apporte pas le fric". Le
parti de l’arrêt brutal mis à la grève des étudiants de l’UNAM, en 1999.
Le parti de l’histoire comme propagande électorale et des politiques
néolibérales forcées qui ont emporté les fondations du Mexique. Le parti
de la privatisation des services publics et para-étatiques. Le parti du
vote pour l’exclusion parlementaire et celui du crime organisé en parti
politique. Le parti de "La patrie, chef, c’est une putain maquée par le
plus malin : autrement dit, par moi !".

Il n’y a pas grand-chose à ajouter en ce qui concerne le PRI et ses
méfaits. Issu de la révolution mexicaine de 1910, le PRI est à ce jour le
parti qui a le plus de possibilités de provoquer une révolution dans
l’ensemble du pays. Le PRI n’est pas lié au crime organisé, non, il fait
directement partie intégrante des cartels de la drogue, des enlèvements,
de la prostitution et de la traite des êtres humains. Le cynisme avec
lequel ses dirigeants méprisent la mémoire les conduit à parler et à agir
comme si cela ne faisait pas soixante-dix ans qu’ils abusent du pouvoir et
se remplissent les poches à chaque mandat. Les précampagnes et campagnes
électorales du PRI constituent actuellement le meilleur véhicule pouvant
provoquer l’indignation générale... Et la révolte des Mexicains.

Vous en voulez des exemples ? Enrique Jackson finance sa campagne avec
l’argent du crime organisé, à savoir, celui issu du narcotrafic, de la
prostitution et du rapt. L’argent servant à la publicité télévisée, il le
tire des rançons versées pour récupérer les membres des familles aisées à
qui il se permet de promettre le retour à "l’ordre" en prime time. À ses
côtés, Roberto Madrazo, un gangster sans scrupules, est passé de la
planification de l’élimination de ses adversaires à la planification de sa
propre sécurité pour ne pas être assassiné, lui (même si en s’entourant du
chaud lapin Albores, dit Croquetas, il n’assure pas vraiment sa
protection). Pendant ce temps-là, Montiel, Yarrington et Martínez, de leur
côté, donnent leurs listes à leurs tueurs à gages, tandis que la Paredes
soupire, c’est-à-dire qu’elle reste à l’affût. Dans la pure tradition
priiste, la candidature à la présidence se décidera dans les égouts du
pouvoir politique (autrement dit, c’est Elba Esther qui décidera). La
vague de violence criminelle qui ravage notre pays est plus qu’une simple
lutte entre différents cartels pour la candidature présidentielle du PRI.
Les perdants et leurs chefs priistes atterriront, non pas en prison, mais
au PRD ! Et le candidat qui restera en lice nous assurera qu’il est "du
centre".

"J’existe !", dit le PRD, le Parti de la révolution démocratique.

Le PRD, le parti des "erreurs tactiques". L’erreur tactique qui consiste à
fomenter, avec ses pactes électoraux, le négoce de familles déguisées en
partis. L’erreur tactique de s’être allié avec le PAN, dans certains
États, et avec le PRI, dans d’autres. L’erreur tactique de la
contre-réforme indigène et des paramilitaires de Zinacatán. L’erreur
tactique de Rosario Robles et du scandale des bandes vidéo. L’erreur
tactique du harcèlement et de la répression du mouvement des étudiants de
l’UNAM en 1999. L’erreur tactique de la "loi Ebrard" et de la "loi
Monsanto". L’erreur tactique d’avoir cédé le Zócalo de Mexico aux
monopoles des jeux et spectacles. L’erreur tactique de faire équipe avec
les salmistes, de cette "tolérance zéro" d’importation et de la
persécution des jeunes, des homosexuels et des lesbiennes pour "délit" de
différence. L’erreur tactique de trahir la mémoire de ses morts, de faire
de leurs assassins des candidats et de recycler les exclus parlementaires
des candidatures priistes. L’erreur tactique de sa manipulation de la mort
de Digna Ochoa et de celle de Pável González pour complaire à la droite.
L’erreur tactique de son positionnement flou en ce qui concerne les
mouvements de résistance et de libération d’autres pays, de sa soumission
au pouvoir nord-américain et de sa tentative de s’attirer les bonnes
grâces des puissants. L’erreur tactique de ses guerres intestines et de
ses fraudes dans les élections au sein du parti. L’erreur tactique de son
alliance avec le narcotrafic dans le DF. L’erreur tactique qui consiste à
demander aux gens de l’argent et de mentir en leur disant que c’est pour
aider, "sous la table", les zapatistes. L’erreur tactique de la cour
honteuse qu’il fait aux secteurs les plus réactionnaires du clergé et
celle de se prévaloir de ses militants morts dans la lutte pour commettre
impunément des vols, pour spolier, corrompre et réprimer. L’erreur
tactique de se précipiter au centre, tout content de sa cargaison
d’erreurs tactiques. L’erreur tactique de "La patrie, chef, ce n’est qu’un
budget qu’on se dispute !".

Et au centre du PRD, "J’existe !", dit AMLO, Andrés Manuel López Obrador.

Contre AMLO s’est jeté le couple (heureux, il fut un temps) présidentiel,
la PGR dans une main, la Cour suprême de justice dans l’autre, le Congrès
de l’Union muselé et les médias pour compenser la "perte d’audience" de
ses reality shows et leur comptoir de clowns. Le processus d’exclusion
parlementaire d’AMLO fut, en dehors d’un drame tragi-comique, un bon
indicateur du mécontentement populaire (eh non, chef, on ne peut plus se
moquer du monde comme avant) mais aussi, et surtout, un excellent tremplin
électoral... Pour celui qui a été exclu.

Et contre AMLO se jette Cárdenas Solórzano, qui l’accuse de s’être dit du
centre dès le début au lieu de suivre comme lui la tradition et commencer
par se dire de gauche, pour ensuite seulement courir au centre à mesure
qu’avance la campagne électorale. Qui le critique pour le contrôle du PRD
qu’il détient et l’usage immodéré qu’il en fait, alors que Cárdenas n’a
rien fait d’autre pendant des années. Qui lui reproche ses alliances, en
oubliant que c’est à celles qu’a faites Cárdenas que des clans (comme le
Parti de la société nationaliste, des Riojas) doivent de s’être enrichis,
et qui lui reproche les liens du PRD avec le synarchisme (le Parti de
l’action sociale) - les mêmes qui ont mis une capuche sur la tête de la
statue de Juárez -, alors que c’est Cárdenas qui a autorisé la formation
de ces deux partis, en 2000.

López Obrador. Le bon AMLO, projeté dans les hautes sphères de la
démocratie "moderne" (autrement dit, le règne des sondages) par l’absurde
et ridicule campagne électorale du couple présidentiel. Celui qui a
converti la mobilisation des citoyens contre l’arbitraire de l’exclusion
parlementaire en une campagne de promotion personnelle et de strip-tease
électoral. Celui qui, lors de la marche contre l’exclusion parlementaire,
n’a pas prononcé la seule phrase qui convenait, à savoir : "Aucun
dirigeant n’a le droit de prendre la tête d’un mouvement fondé sur une
cause juste pour en faire, en mentant à la majorité des participants, un
projet de recherche personnelle du pouvoir et ne négocier que dans ce
but." Celui qui a convoqué une marche silencieuse et qui, au lieu de la
respecter, s’en est servi pour s’adresser au pouvoir, imposant à tout le
monde la parole d’un seul. Celui de l’étrange alchimie qui transforme un
million six cent mille silences en la voix de don Porfirio - voix qui,
malgré les sifflets (pour le coup, effectivement de proportion
"historique"), a été entendue par le réel interlocuteur de cette
manifestation : le Pouvoir. Celui qui s’est approprié (et a dévalué) le
triomphe populaire de la marche du 24 avril pour en faire une victoire
personnelle dans sa course à la présidence. L’ex-exclu parlementaire qui a
condamné l’arbitraire du Pouvoir pour ensuite échanger avec lui excuses et
démentis mutuels. Qui dénonce des "complots" pour traiter ensuite d’hommes
d’État ceux qui les ont tramés et dont un des meilleurs "comités de
soutien" indigènes chiapanèques n’est autre que les caciques et les
paramilitaires de Zinacatán, ceux-là mêmes qui ont attaqué la marche
zapatiste du 10 avril 2004. Celui qui se voit déjà arborant l’écharpe
présidentielle. Celui qui a déjà offert l’impunité, entre autres promesses
de son éventuel mandat, aux responsables d’assassinats et de disparition
de personnes engagées dans la lutte sociale et à ceux qui ont plongé le
Mexique dans la misère et se sont enrichis avec les souffrances de tous.
Celui dont les actes parlent d’eux-mêmes et disent tout son mépris des
gens, "même sans mandat parlementaire".

López Obrador, qui s’est comparé à Francisco I. Madero, oubliant au
passage que sa ressemblance avec Madero ne s’arrête pas à l’incarcération
de ce démocrate par Porfirio Díaz. Elle va plus loin et continue avec le
même Madero, qui forme ensuite un gouvernement avec les porfiristes qui
l’ont fait emprisonner (et notamment avec celui qui l’avait trahi), et
avec le même Madero qui, tournant le dos aux exigences des dépossédés, a
tout fait pour conserver le système économique d’exploitation, de pillage
et de racisme du régime porfiriste. Le bon AMLO et les moineaux qui
picotent à ses côtés ont "oublié" ces quelques détails.

Mais surtout, ils ont "oublié" que les zapatistes de l’époque ont arboré
le Plan d’Ayala contre Madero, un plan dont Madero s’est permis de dire,
plus ou moins : "Publiez-le, que tout le monde sache que ce Zapata est
cinglé." Mais assez avec le passé et les comparaisons ! Nous sommes au
début du XXIe siècle et non du XXe, en pleine lutte pour une succession
avançant à marche forcée à cause de l’ambition démesurée d’une seule
femme.

Pour connaître les projets du candidat aspirant au pouvoir, il ne faut pas
écouter ce qu’il déclare à l’attention de ceux d’en bas, mais ce qu’il dit
à ceux d’en haut - dans les interviews accordées au New York Times et au
Financial Times, par exemple. Il faut écouter ce qu’il propose à ceux qui
ont réellement le pouvoir.

La proposition centrale du programme présidentiel d’AMLO n’est pas de
s’installer au Palais national et de faire de la résidence de Los Pinos un
nouveau secteur du bois de Chapultepec. C’est la "stabilité
macro-économique", c’est-à-dire "toujours plus de profits pour les riches,
une misère et une dépossession croissante pour les pauvres, et un ordre
qui contrôle le mécontentement de ces derniers".
Lorsqu’on critique le projet d’AMLO, il ne s’agit pas de critiquer un
projet de gauche, parce que ce n’en est pas un, comme il l’a lui-même dit
et promis au Pouvoir de l’étage supérieur. Il a été très clair à ce sujet
et les seuls à ne pas le comprendre sont ceux qui ne le veulent pas (ou
que cela arrange de ne pas le faire) et qui s’efforcent de le voir et de
le présenter comme un homme de gauche. Le projet de López Obrador est,
comme il l’a défini lui-même, un projet du centre.

Et on sait que le centre n’est qu’une droite modérée, une porte donnant
sur la clinique de chirurgie esthétique qui transforme les personnes
engagées dans la lutte sociale en despotes et en cyniques, une stabilité
macro-économique avec résidence secondaire et conférences de presse au
petit-déjeuner.

Nous autres, nous avons suivi et analysé de près les agissements d’AMLO au
gouvernement du DF. Pas dans la presse, ni dans les hautes sphères ni dans
les résidences secondaires, non, mais en bas, dans la rue. Nous pensons
que tout indique chez lui la gestation d’un projet autoritaire et un
arrivisme qui transcendent le mandat sexennal. L’image de Carlos Salinas
de Gortari construite par AMLO n’est en réalité qu’un miroir. De là
l’équipe dirigeante dont il s’est entouré. De là aussi son programme, si
proche du "libéralisme social" saliniste. J’ai dit "proche" ? C’est plutôt
la continuation du libéralisme saliniste. Voilà un secret de Polichinelle
qui reste encore caché à cause de la bêtise des larbins de l’extrême
droite (qui évoquent un éléphant dans un magasin de porcelaine) et du
chaos qui règne au sein de la classe politique mexicaine, mais il ne
tardera pas à sortir au grand jour. C’est d’ailleurs une telle myopie qui
fait que certains intellectuels et intellectuelles et des personnes bien
connues pour leur engagement dans la lutte sociale contribuent de leur
chaude haleine à couver l’œuf du serpent déposé au sein du gouvernement de
la ville de Mexico.

Face à López Obrador, on ne se trouve pas confronté à un dirigeant
nostalgique du passé nationaliste révolutionnaire, mais à quelqu’un qui a
un projet bien établi pour le présent... Et pour l’avenir. AMLO ne pense pas
réaliser ce projet en un seul sexennat (ce qui explique que son équipe est
la même que le cabinet du célèbre "Nous sommes là [au gouvernement] pour
longtemps") et, contrairement à ce que pensent certains, López Obrador ne
propose pas un retour au populisme d’antan qui effraye tant le pouvoir
économique. Non, AMLO propose une médiation et une administration
"moderne" (autrement dit, achever ce qu’avait laissé en chantier Salinas
de Gortari), mais aussi, allant plus loin, il propose de poser les
fondations d’un État "moderne", raison pour laquelle il veut tant se
distinguer d’un Lula, d’un Chávez, d’un Castro ou d’un Tabaré. Évidemment,
il ne fait pas cette proposition à ceux d’en bas ou à ce qui subsiste de
la nation mexicaine, mais à qui tient réellement la barre : au pouvoir
financier international. L’administration de López Obrador ne sera pas une
administration néolibérale appliquée avec la main gauche (Lula, au Brésil,
Tabaré, en Uruguay, Kirchner en Argentine) ni un gouvernement socialiste
(Castro à Cuba) ni un nationalisme populaire (Chávez, au Venezuela), mais
constituera LE NOUVEAU MODÈLE D’ÉTAT NON NATIONAL (cet avorton monstrueux
issu de la guerre néolibérale) en Amérique latine.

Si Carlos Salinas de Gortari a été l’archétype de la mise en œuvre de la
destruction néolibérale au Mexique, López Obrador, quant à lui, veut être
l’exécutant modèle du réaménagement néolibéral. Voilà quel est son projet.
Pour autant qu’on le laisse faire ou qu’il y parvienne.

Nous ne voulons pas nous acharner à disqualifier AMLO (laissons cela au
PRD, qui s’en chargera mieux que quiconque, surtout au coup d’envoi de la
lutte pour la candidature au gouvernement du DF), mais nous considérons
qu’il est de notre devoir d’avertir, de définir et nous définir. C’est
d’autant plus nécessaire que, dans le jeu du "guépard" qui se joue en
haut, se définir de manière floue devient aussitôt un soutien explicite :
"S’il n’est pas contre nous, il est avec nous." Il est donc indispensable
de définir ses positions face à (et non pas à côté de) López Obrador. Ce
qu’il propose - et en cela il n’y a aucune différence avec ce que
proposait Cárdenas dans le PRD, ni avec ce que propose n’importe lequel
des précandidats au sein du surpeuplé "centre" politique du Mexique de la
mi-2005 -, c’est de combler D’EN HAUT ET POUR QUI EST EN HAUT le vide
provoqué par l’hécatombe néolibérale.

En résumé, en haut règne l’indécence, le culot éhonté, le cynisme et la
crapulerie.

Voilà ce que nous pensons de la géométrie politique du Mexique d’en haut.
Dire quoi que ce soit d’autre serait mentir et vouloir tromper ceux que
nous n’avons jamais trompés : en premier lieu, nous-mêmes, mais aussi tous
les gens en général. Nous n’éprouvons que rage et indignation devant ce
que nous voyons et nous nous battrons pour empêcher que ces crapules
parviennent à leurs fins.

L’heure est en effet venue de commencer à lutter pour que tous leurs
semblables là en haut, qui méprisent l’histoire et nous avec elle, rendent
des comptes. Pour qu’ils payent.

Allez. Salut et vigilance, en bas l’horloge marque déjà la sixième heure.

Des montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant insurgé Marcos
Mexique, en ce sixième mois de l’an 2005.

P.-S. : À PROPOS DU CHIAPAS. Auparavant, les Conseils de bon gouvernement
avaient annoncé qu’ils entretenaient certaines relations avec le
gouvernement de cet État, mais aujourd’hui ils tiennent à signaler que,
depuis le mois de décembre dernier, tout contact a été rompu en raison du
non-respect des quelques engagements pris par ledit gouvernement. Aucune
indemnisation ni aucune régularisation n’ont été obtenues et la justice
n’a pas été rendue dans les quelques cas où on lui avait demandé son
intervention. Il n’a pas respecté ses engagements parce que, au fond, il
est aussi raciste que tous les autres. Ses fonctionnaires font preuve
d’autoritarisme et de superbe, comme d’habitude, la justice locale se
consacre à la traite d’êtres humains, les budgets sont dépensés avec les
dames des annonces classées des journaux locaux ou avec celles qui
"travaillent" dans "la zone galactique", l’argent est gaspillé dans de
ridicules et honteuses campagnes médiatiques visant à discréditer les
opposants (comme celle entreprise contre le mouvement des instituteurs, il
y a quelques semaines) ou à promouvoir le culte de la personnalité. Non,
merci !


Traduit par Angel Caído, qui tombe toujours au bon endroit et au bon
moment, et que nous remercions encore.