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Un rapport des services de renseignement US

La menace "indigéniste" en Amérique latine

avril 2005

RAPPORT DES SERVICES DE RENSEIGNEMENTS DES ÉTATS-UNIS
La menace "indigéniste" en Amérique latine

"En 2020, le PIB (produit intérieur brut) de la République populaire de
Chine sera supérieur à celui de la majorité des pays occidentaux et, bien
que sa puissance soit presque une certitude, il reste encore à savoir si
ses relations avec les autres pays seront de coopération ou de
confrontation. L’Islam, pour sa part, tant dans son aspect religieux que
politique, tendra à augmenter son influence, et bien qu’il soit probable
qu’Al Qaeda n’existe plus en 2020, elle aura été remplacée par d’autres
groupes islamistes radicaux beaucoup plus petits et efficaces grâce aux
avancées de la technologie de l’information. Qu’arrivera-t-il en Amérique
latine ? Rien de bon : l’émergence de mouvements indigénistes [sic]
politiquement organisés fera chanceler l’organisation des États et mettra
en péril la sécurité régionale. Les cas du Mexique, de l’Équateur, de la
Bolivie et du Chili le montreraient déjà."

Rapport du Projet Global Trends
2020 du National Intelligence Council (NIC) des États-Unis.

Le dernier rapport du projet Global Trends 2020, parrainé par le National
Intelligence Council (NIC : Conseil national des services de
renseignements des États-Unis) cherche à identifier les menaces probables
et les défis pour l’hégémonie états-unienne autour de l’année 2020. En
extrapolant la réalité sous une perspective de 15 ans, le rapport offre
une vision des principales tendances et scénarios internationaux en
matière politique, économique, sociale et militaire. C’est ainsi que le
NIC présente ses analyses stratégiques au président George W. Bush,
élaborées selon l’information obtenue et traitée par tous les services de
renseignements du pays, composée de quelque 13 organismes étatiques, dont
la CIA, en plus de la collaboration d’un groupe d’"experts
internationaux".

Le rapport indique que vers 2020 le visage de la mondialisation sera
asiatique. Les États-Unis et l’Europe devront faire une place à deux
nouveaux acteurs sur la carte géopolitique mondiale : la Chine et l’Inde.

Le rapport signale les nouvelles menaces militaires et géopolitiques en
gestation sur la planète (lisez pour la prédominance états-unienne), parmi
lesquelles il identifie d’abord, l’expansion de l’Islam.

L’émergence des peuples indigènes et le renforcement de leurs identités en
Amérique latine n’échappent pas aux prédictions. Pour réaliser ce scanner,
pièce-clé de l’ingénierie militaire de la guerre de basse intensité, le
NIC a pu compter sur la collaboration de nombreux experts
latino-américains, qui se sont réunis lors d’une conférence régionale à
Santiago du Chili en juin 2004 "Amérique latine 2020 : les scénarios à
long terme"
, organisée par l’Université de Georgetown (Washington), le
Centro de Estudios Nueva Mayoría (Buenos Aires) et l’Université Adolfo
Ibáñez
(Santiago du Chili).

En prenant comme exemples le soulèvement zapatiste dans le Sud-Est
mexicain, la montée politique du mouvement indigène en Équateur, le
discours radicalisé d’un secteur du mouvement aymara en Bolivie (MIP) et
la lutte des Mapuches dans le Sud argentin et au Chili, le rapport est
clair quand il souligne que des thèmes tels que la gouvernabilité
démocratique et ses institutions, l’insertion internationale, "la relation
avec les États-Unis et les principales puissances mondiales actuelles" et
la sécurité face aux nouvelles menaces, dont le narcotrafic et les
revendications indigènes, seront les principaux facteurs qui détermineront
le futur latino-américain. "Dans le sud du Mexique, la région andine et
quelques pays d’Amérique centrale, des revendications territoriales mises
en avant par des groupes indigénistes irrédentistes pourraient inclure un
scénario de révolte armée et de violence politique", signale le document.

"L’émergence de mouvements indigénistes politiquement organisés peut aussi
représenter un risque pour la sécurité régionale. Si dans les prochaines
années les mouvements de revendication indigéniste ne parviennent pas à
une insertion dans le système politique ni à des niveaux déterminés
d’inclusion sociale, il est probable que beaucoup de mouvements évoluent
vers des revendications d’autonomie territoriale dans le sud du Mexique,
la région andine et certains pays d’Amérique centrale", ce qui menacerait
gravement "l’intégrité territoriale" des États.

"Quelques conflits latents et en cours, particulièrement ceux qui
impliquent des groupes ethniques transfrontaliers, menacent de se
régionaliser. Dans le pire des cas, cela pourrait faire en sorte que
certains territoires et certaines populations soient hors de tout contrôle
gouvernemental effectif." "Certaines revendications territoriales
pourraient inclure le scénario de révolte armée et de violence politique",
signalent les experts, conscients qu’une grande partie des territoires
historiques des peuples indigènes en Amérique latine sont aujourd’hui
divisés par les frontières actuelles, comme le Kollasuyo Aymara (Pérou,
Chili et Bolivie) ou le Wallmapu mapuche (Chili et Argentine).

"L’irrédentisme indigéniste impliquerait de fortes doses d’incompatibilité
avec l’ordre politique et économique occidental soutenu par les
Latino-Américains d’origine européenne, et par conséquent une profonde
rupture sociale, qui dériverait en révolte armée, en réponses répressives
de la part de gouvernements contre-insurgés, une violence sociale et une
balkanisation politique et territoriale. Un tel scénario de turbulence
mettrait en fuite les capitaux, les investissements et la dynamique même
du marché pour une période prolongée. L’hétérogénéité régionale
s’approfondirait entre les pays qui souffriraient de la montée de
l’irrédentisme ethno-politique (dans la région andine ou au Guatemala) et
les pays à population majoritairement européenne."

La relation entre les mouvements ethniques et les groupes terroristes
internationaux, claironnée par la presse à sensation, opposée aux
revendications des peuples indigènes, n’échappe pas aux prévisions
catastrophiques du NIC : "Pouvoirs factieux et acteurs armés non étatiques
(mafias, narcotrafiquants, groupes terroristes internationaux) pourront
établir différents types d’alliances stratégiques avec des groupes armés
irréguliers dans la région. Des zones hors du contrôle de l’État (comme
les départements de Boyacá, Caquetá et tant d’autres en Colombie ; les
frontières vénézuélo-brésilienne et vénézuélo-colombienne, la région de
Cochabamba en Bolivie, les côtes d’Haïti, etc.) constitueront des cibles
privilégiées pour ce type d’alliances qui représentent un risque pour la
sécurité globale."

Mais il n’y a pas que les connections probables avec Al Qaeda ou
l’intégrisme islamique qui préoccupent les experts. Le rapprochement
évident ces dernières années entre le mouvement indigène et des groupes
anti-mondialisation, ainsi que des secteurs du mouvement populaire
latino-américain, est aussi matière à analyse et à prévisions. "La montée
à grande échelle de mouvements indigénistes radicaux, politiquement
révolutionnaires, dans plusieurs pays de la région, pourrait inclure la
convergence des indigénistes avec certains mouvements sociaux non
indigénistes, mais souvent radicaux, qui existent actuellement", indique
le rapport.

"Au début du XXIe siècle, il y a des groupes indigénistes radicaux dans la
majorité des pays latino-américains. Ce scénario supposerait que pour
2020, ils aient crû de manière exponentielle et aient obtenu l’adhésion
majoritaire des indigènes dans leur pays ; un effet de contagion pourrait
faire qu’une rébellion indigéniste dans un pays, s’étende à d’autres."
Pour éviter cela la solution pourrait être la tolérance zéro : un plus
grand investissement en défense militaire et renforcer "évidemment" les
liens avec les États-Unis, bien que l’on observe avec préoccupation
l’arrivée au pouvoir de mandataires de gauche dans la région (Chávez,
Lula, Tabaré Vásquez, Kirchner)

"Ce scénario de vague anti-impérialiste continentale impliquerait des
sous-scénarios d’isolement international, d’appauvrissement et de fuite de
capitaux, de conflits et d’ingouvernabilité au niveau continental",
indiquent les experts du NIC, pour terminer avec une phrase qui ne laisse
aucune place aux spéculations : "Le lien qu’établiront les pays de la
région avec les États-Unis sera déterminant", pour leur avenir politique
et leur sécurité.

Pedro Cayuque

Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx/), supplément Ojarasca, n°96, avril 2005.

Traduction : Diane Quittelier, pour RISAL (www.risal.collectifs.net/).

Réseau d’information & de solidarité avec l’Amérique latine (RISAL)
2 mai 2005

http://risal.collectifs.net/imprimer.php3?id_article=1350