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Avec la "brigade internationale d’observation" au Chiapas
CSPCL
samedi 10 mars 2007
Périple de deux compas du CSPCL
Lundi 5 mars 2007.
Journée incertaine. On quitte tôt ce matin le Caracol de Morelia. Passé Yajalon, on prend une route qui serpente en direction de la Commune Olga Isabel, où ont eu lieu des agressions physiques il y a moins d’une semaine. Le temps est gris. Au détour d’un virage, un écriteau qui singe les pancartes zapatistes, où on a l’habitude de lire "commune autonome rebelle, le peuple commande et le gouvernement obéit". Les mots et l’intention changent. Ici est écrit "village autonome contrôlé par l’OPDDIC", Muk’ulum, le sinistre voisin d’Olga Isabel, creuset de l’affrontement.
Deux minutes plus tard, nous sommes à Olga Isabel. Il bruine légèrement. Il y a un peu de monde, surtout des étrangers, car une équipe de cinéma est venue faire un reportage sur les faits de la semaine passée. Dans la brume en arrière-plan, sur les murs de bois palissés, les fresques chères aux zapatistes : le visage d’un zapatiste sortant du brouillard et de la nuit avec sa parole qui se déroule comme une spirale colorée qui s’élancent vers les étoiles. Il y a quelque chose de magique dans cette fresque, à la fois force et tendresse, brûlante d’espoir, réplique colorée des paroles que nous sommes venus entendre. D’ici quelques jours peut se jouer le sort d’Olga Isabel et, dans ce froid glacé, cela sert aussi le cœur de se dire que ces fresques pourraient être endommagées.
Des enfants passent, visage ouvert et sourire éclatant. ¿Como te llamas ? disent-ils à ceux qui croisent leurs regards. On croise trois campamentistas qui ont atterri là juste après les séquestrations de la semaine dernière. Elles sont restées. "On sent la tension en permanence", disent-elles. Elles sont préoccupées, l’école ne fonctionne plus.
Passage par Chilón. Les autorités nous invitent au restaurant communautaire où nous engloutissons un savoureux caldo de pollo. Retour à Olga Isabel où tous s’installent autour d’une table en plein air, protégés par un fragile toit de zinc. Il fait très froid et l’humidité nous transperce. La brume continue. Parmi les autorités, une femme frissonne sous son châle. Sourire gentil, visage ouvert, regard droit où se lit un mélange de préoccupation et de détermination. On se présente. La chaleur des remerciements pour notre présence nous va droit au cœur et le conseil entame la narration de l’histoire d’Olga Isabel.
Avant 1994, les terres étaient une finca et il était impossible d’y entrer. Dès février 1994, des gens qui s’étaient rassemblés dans une organisation appelée CNPI (Coordinación Nacional de Pueblos Indios) ont occupé ces terres (13 000 hectares). Depuis déjà longtemps, ils réclamaient une extension des terres de l’ejido dont ils venaient. Il est important de souligner que tous les occupants actuels sont entrés ensemble sur ces territoires à cette époque. Au bout d’un certain temps, le représentant élu par l’assemblée décide de solliciter la légalisation de la terre. Pour cela, le gouvernement leur demande de nombreux papiers et recense en 1995 les gens habitant sur le territoire.
Quasiment depuis le début, les membres de la CNPI étaient passés dans la résistance et étaient devenus bases d’appui zapatistes. En 1996, le gouvernement ne cessant de leur redemander des papiers, un certain nombre décident d’arrêter le processus de légalisation, ne voyant pas comment on pouvait être à la fois dans une organisation rebelle et donner son nom à tout bout de champ au gouvernement. D’autres ont continué dans la voie de la légalisation. Ceux qui sont sortis du processus de légalisation ont alors décidé de former leur propre commune autonome. Ils ont réfléchi deux, trois ans sur la manière de le réaliser. En 1999, la commune est formellement déclarée lors d’une manifestation à Ocosingo. Il y a désormais, d’un côté, la commune autonome et, de l’autre, ceux qui continuent à vouloir légaliser les terres par l’intermédiaire de la CNPI.
En 2002, une partie des terres sont légalisées par le gouvernement sous forme ejidale (ejido Muk’ulum Bachajon) et donc au seul bénéfice de ceux qui ont continué le processus de légalisation. Le 21 juillet 2004, des dirigeants de l’OPDDIC sont venus pour organiser l’ejido, disant que ceux dont le nom n’apparaissait pas dans le registre public n’avaient aucun droit sur la terre et devaient partir. L’OPDDIC annonce clairement : "Olga Isabel (c’est-à-dire la commune autonome) ne doit plus exister." La CNPI continue de son côté à réclamer la légalisation d’un deuxième paquet de terres. Voyant qu’ils n’arrivent pas facilement à déloger les zapatistes d’Olga Isabel, l’OPDDIC se contente de menacer de tout détruire. Ils refusent toute invitation à la conciliation des zapatistes et ne viennent pas aux réunions.
Ils entreprennent une autre forme de pression en voulant faire mesurer les terres pour les inscrire au cadastre. Les zapatistes refusent de laisser entrer les ingénieurs du cadastre. Voyant cela, l’OPDDIC décide d’envoyer l’ingénieur entouré d’une centaine de personnes armées et de la police sectorielle au chef-lieu de la commune avec l’intention de le détruire. Alertées de cette intention, les bases d’appui envoient une dizaine de personnes pour témoigner et filmer s’il se passe quelque chose. Ainsi la destruction est évitée, l’OPDDIC préférant se retirer (en 2005).
L’OPDDIC poursuit les pressions pour expulser les bases d’appui par la voie légale. Ses membres dénoncent les zapatistes comme des envahisseurs de terre (disant qu’ils ne seraient entrés qu’en 2005, en occupant violemment les terres) devant la Procuradoria Agraria. Celle-ci envoie 53 citations à comparaître. Les compas décident de ne pas y aller. En 2006, cela recommence au tribunal agraire de Tuxtla, qui envoie de nouvelles citations à comparaître nominatives. Même réponse des zapatistes, puisqu’ils ne sollicitent rien du gouvernement. À présent, la liste des gens ayant droit à la terre que fait prévaloir l’OPDDIC correspond à la première demande de légalisation de 1996 mais avec d’autres noms. Un papier pseudo légal où les noms ont été falsifiés. L’OPDDIC continue à faire pression sur le gouvernement pour expulser plus d’une trentaine de communautés.
Le 27 février 2007, lors d’une réunion, ils annoncent une grande manifestation pour le 7 mars à Ocosingo et déclarent que, si le gouvernement ne déplace pas les communautés, ils le feront eux-mêmes. Ils disent qu’ils ont remis la liste des noms des responsables de la commune autonome à la Secretaria de Gobernación pour qu’ils soient arrêtés.
Les 22 et 23 février, trois compas (compañeros) ont été séquestrés pendant plus d’une journée et menacés d’être arrosés d’essence et brûlés. Ils ont finalement heureusement été libérés sous la pression des zapatistes et des organisations de défense des droits de l’homme. Par ailleurs, l’ejido OPDDIC Muk’ulum Bachajon a signé un accord avec l’ejido voisin, San Sebastian, pour empêcher les zapatistes de s’y installer en cas d’expulsion (alors que beaucoup y ont de la famille).
La manif du 7 mars a eu lieu hier. Le 10, une réunion de l’OPDDIC est prévue à Chilón avec comme thème les moyens à mettre en œuvre pour chasser les zapatistes.
Il y a actuellement sur le terrain trois groupes distincts :
- l’OPDDIC, qui tient les terres légalisées avec l’ejido ;
- la CNPI, neutre, qui réclame la légalisation du reste ;
- les bases d’appui, qui ne demandent rien au gouvernement.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui. L’histoire d’Olga Isabel nous apparaît très symbolique de la guerre de basse intensité qui sévit ici. À l’origine, un groupe de gens réclamant l’extension de leurs terres qui naturellement entrent dans le mouvement zapatiste en 1994. Ils prennent les terres et parviennent à en faire une commune autonome. Mais résister est dur au milieu des manœuvres et persécutions du gouvernement, maniant la carotte et le bâton : menace, présence de l’armée et cadeaux pour ceux qui quittent la résistance. La place donnée à l’OPDDIC par le gouvernement et son pouvoir vient de là et fait le reste. Certains par peur rejoignent les rangs de l’OPDDIC. Si la tension est très forte, elle est à la mesure de la détermination des bases d’appui : "Cette terre, c’est nous qui la travaillons, elle est à nous et on la défendra coûte que coûte. On n’a peur de rien."
Mercredi 7 mars.
Après une journée passée à Oventik et à Mut Vitz, dans un brouillard tellement épais qu’il faisait de chaque silhouette une apparition fantasmagorique et une humidité qui nous a frigorifiés tout au long de la journée, nous sommes partis mercredi matin, à 5 heures, pour rejoindre les autres et continuer le recorrido (parcours) des communautés victimes d’agressions des paramilitaires. Un premier colectivo (minibus) nous emmène jusqu’à Ocosingo (ce qui ne nous enchante guère, car c’est le jour de la grande manif de l’OPDDIC) puis un autre jusqu’au croisement d’Agua Azul, lieu du rendez vous. Nous attendons finalement les autres au village voisin, qui est zapatiste. Nous profitons de l’attente pour commencer à rédiger le compte rendu d’Olga Isabel au son de la musique traditionnelle tzeltal, un ancien jouant du violon et deux enfants de la guitare sous l’auvent de la pharmacie communautaire. Puis les autres arrivent et vient le moment de partir pour la communauté où nous devons aller, San Miguel, victime de menaces de l’OPDDIC. Les compas nous disent que les gens de l’OPDDIC ont prévu de nous empêcher de passer, voire de nous arrêter. Ils nous demandent si nous voulons toujours continuer. La réponse est oui. Entre-temps, plusieurs dizaines de compas appelés en renfort nous ont rejoints. Les gens de l’OPDDIC préfèrent alors lever le barrage.
Nous traversons le fleuve en canoë pour rejoindre San Miguel. Les autorités du village nous expliquent la situation (compte rendu à venir) puis nous emmènent visiter un des points du conflit : des cascades d’une beauté stupéfiante, d’une puissance inouïe au cœur de la jungle, les cascades du Voile de la Mariée.
Retour sans encombre en direction de San Cristóbal jusqu’à ce que les portables captent de nouveau le réseau. Hermann Bellinghausen (du quotidien La Jornada) apprend alors qu’a été annoncée notre détention par les paramilitaires dans le village El Calvario. Branle-bas de combat pour démentir (l’affaire était déjà remontée jusqu’au procureur général et à la présidence, notamment sous la pression de La Jornada). Comme par hasard, les communautés d’Agua Azul où a été annoncée hier notre arrestation par les paramilitaires dépendent de la Commune Olga Isabel. Cela a également eu comme conséquence la brève arrestation de Pedro Chulín et de 26 dirigeants de l’OPDDIC, quelques jours avant la réunion décisive du 10 mars.
Il n’en reste pas moins qu’au cours de la manifestation de l’OPDDIC à Ocosingo un cameraman de Promedios et un observateur des droits de l’homme ont été agressés et que tout cela survient dans un climat d’extrême tension. Il faut rester d’autant plus vigilant pour le futur que certains doivent être bien énervés et que les gens de l’OPDDIC risquent de se venger sur les communautés et tout ce qui n’est pas la presse. On se pose beaucoup de questions sur l’origine de ces informations et le pourquoi de ces arrestations très rapides. Il faut cependant noter qu’il y avait hier une rencontre à un haut niveau pour signer un accord sur les droits des citoyens au Mexique.
San Cristóbal de Las Casas, le 8 mars 2007.
Pour écouter les témoignages sur les agressions des paramilitaires de l’OPDDIC recueillis lors du passage de la brigade internationale :
- du Conseil de bon gouvernement de Morelia
(http://chiapas.indymedia.org/local/webcast/uploads/jbg_morelia.mp3) ;
- ainsi que du Conseil autonome Vicente Guerrero
(http://chiapas.indymedia.org/local/webcast/uploads/consejovicenteguerrero.mp3).