Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Année du Mexique : pendant le show, la guerre continue

Jean-Pierre Petit-Gras

dimanche 20 février 2011

Jamais on avait autant parlé du Mexique...

Journalistes, spécialistes, ignorants, politiques, touristes, justiciers,
anthropologues, organisateurs de manifestations culturelles, analystes,
indignés, zopilotes de tous bords, se répandent, en vagues dégoulinantes,
de blogs en manchettes, de buvettes en micros... Tous et toutes veulent
savoir, ou savent déjà. Mais bien peu d’entre eux s’intéressent à la
guerre mexicaine. La guerre, quelle guerre ?

Début janvier, soixante tueurs masqués, lourdement armés, ont fait irruption
dans une petite communauté indigène tepehuana du Durango (la région natale
de Pancho Villa), Tierras Coloradas [1]. Les habitants, avertis de
l’attaque, ont juste eu le temps de se réfugier dans la montagne, tandis
que les membres du commando incendiaient une quarantaine de maisons,
l’école et plus de vingt véhicules... Quelques jours auparavant, les
Tepehuanos avaient mis en fuite plusieurs de ces tueurs, qui venaient
d’assassiner deux habitants du village.

Selon le maire de la ville voisine d’El Mezquital, le mieux serait
maintenant que les Tepehuanos émigrent vers l’État voisin du Nayarit...

De tels événements sont fréquents au Mexique. Après la destruction, à
l’automne, du village triqui de San Juan Copala, et de multiples autres
agressions, paramilitaires ou policières, contre des communautés de
l’Oaxaca, après les meurtres perpétrés à Santa María Ostula, Michoacan,
contre les comuneros nahuas en lutte pour la récupération de leurs terres,
les nombreux meurtres perpétrés dans le Guerrero, les Huastecas [2], les
montagnes des Huicholes ou celles des Tarahumara, ces faits démontrent
qu’avec les communautés mayas et zoques zapatistes du Chiapas, c’est toute
une culture, un mode d’occupation des territoires qui sont l’enjeu de la
guerre actuelle.

Lors de sa dernière réunion, à Mezcala [3], les 110 délégués représentant
44 peuples, tribus et nations indigènes ont fait état de ces choses-là,
avec des paroles qu’aucun « leader », aucun parti politique de nos pays ne
sont capables d’employer. Ou même de comprendre.

L’excellent texte d’Alessi Dell’Umbria [4] l’analyse en profondeur : les
tueurs du narco, associés ou non aux « forces de l’ordre » militaires et
policières, préparent le terrain pour une reconversion des campagnes. Un
chamboulement général, qui intéresse au plus haut degré les entreprises
multinationales, nord-américaines comme européennes. Car les ressources
agricoles, biologiques, minérales et énergétiques du pays sont à prendre.
Et les industries de l’armement, notamment françaises, sont sur les rangs,
bien placées, pour vendre les moyens d’écraser l’opiniâtre résistance des
populations rurales et urbaines.

L’année du Mexique en France avait pour objectif de nous raconter que ce
pays est superbe, et regorge de richesses artistiques et archéologiques
fabuleuses - ce qui est vrai. Et que l’on peut y passer ses vacances - à
condition de ne pas trop regarder ce qui s’y passe.

Ces 350 manifestations, financées par les groupes Safran, Schneider et
quelques banquiers (il faut bien utiliser une petite partie des énormes
bénéfices de l’année boursière) avaient pour but principal de cacher la
sale guerre. L’affaire Cassez semble avoir pris le relai de la
désinformation.

Mais çà et là, quelques groupes de Mexicains et de Français se prennent à
rêver : et si nous organisions, sans l’argent des grands de ce monde,
notre petite année du Mexique à nous ?

20 février 2011,
Jean-Pierre Petit-Gras


[2Région orientale du Mexique, siège d’une culture de plus de quatre mille ans.

[4La paranoïa et la terreur comme paradigmes de gouvernement. Voir sur
le site du CSPCL (http://cspcl.ouvaton.org/article.php3?id_article=806).