Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Rencontre des zapatistes avec la caravane des pères et des mères des étudiants normalistes disparus, le 15 novembre 2014.

lundi 1er décembre 2014

« Vous n’êtes pas seuls, votre douleur est aussi la nôtre et nôtre est votre digne rage » : c’est avec ces mots que, le 15 novembre, dans le Caracol II d’Oventik « Résistance et rébellion pour l’humanité », dans la zone des hauts plateaux de Chiapas, les zapatistes ont souhaité la bienvenue aux pères et mères des 43 étudiants disparus à Ayotzinapa.
« Nous nous joignons aux actions qui exigent la présentation en vie des 43 normalistes disparus suite à l’acte criminel perpétré par les mauvais gouvernements », ont déclaré les zapatistes.
« Nous, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale, voulons écouter votre douleur et votre rage qui sont aussi les nôtres », a signalé le Commandant Tacho aux familles des étudiants disparus. « Nous, hommes et femmes zapatistes, nous vous avons accompagnés dans les mobilisations qui ont eu lieu à Mexico et ailleurs dans le monde. Même si nous n’apparaissons pas dans les médias payants, nous voulons vous dire que nous vous avons accompagnés par des faits réels ».

Après ce temps de bienvenue, un espace a été ouvert pour que les pères et mères des étudiants disparus puissent être entendus. Don Floriberto s’est levé de la chaise en bois sur laquelle il portait une photo du visage de son fils, et d’une voix ferme il a dit : « Nous sommes ici pour vous demander votre soutien parce que le gouvernement ne nous écoute pas. Au contraire, il nous a au contraire trompés depuis le début, et nous sommes fatigués de ses mensonges. »

Doña Carmelita a été reçue par les applaudissements de milliers de zapatistes qui ont écouté, attentifs, à l’intérieur de l’auditorium « Cela fait cinquante jours que nos enfants ont disparu, le gouvernement nous trompe et on dirait qu’il ne veut pas que nous les retrouvions. Depuis le début, ils ont voulu nous rendre nos enfants morts, d’abord dans des fosses communes, maintenant brûlés, mais nous ne croyons rien de tout cela car ils n’ont pas de preuves de ce qu’ils avancent… Mon fils n’a pas disparu, le gouvernement l’a pris, le gouvernement sait où il se trouve. »

Don Valentin s’est présenté dans sa langue maternelle Ñuu Savi de la côte montagneuse : « Cinquante jours ont déjà passé depuis la disparition de nos enfants, et le gouvernement n’en a rien à cirer parce que nous sommes pauvres. Ce serait autre chose si les disparus étaient leurs enfants riches. Nous sommes très inquiets car nous ne savons pas ce qui est en train d’arriver à nos enfants. A présent ils nous disent que nos enfants sont devenus cendres ; nous ignorons comment ils vont faire mais ce que nous savons c’est qu’avant, quand ils les ont pris, ils n’étaient pas des cendres, ils n’étaient pas à l’intérieur de sacs plastiques. Ils les ont pris vivants, vivants ils doivent nous les rendre. »

Don Ezequiel portait une chemise avec le visage de son fils et un manteau d’Ayotzinapa : « Nous sommes paysans, les disparus sont nos enfants, tous des fils de paysans », et avec une rage digne il a signalé :« Nous sommes fatigués de ce gouvernement maudit. Le gouvernement fédéral veut mettre un terme à l’engagement envers nous pour la recherche de nos enfants ; pour lui nous sommes des perturbateurs parce que nous exigeons que nos enfants reviennent vivants. Mais nous allons lutter jusqu’aux dernières conséquences parce que vivants ils ont été pris, vivants nous les voulons. »

Après avoir écouté avec attention la douleur et la digne rage des parents des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa, le Sous Commandante Insurgé Moises a lu le message du Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale : il a remercié la Caravane d’être arrivée à Oventik pour y partager ses paroles et son engagement héroïque. Il a encouragé les étudiants et les parents à continuer leur lutte, à se rapprocher des autres douleurs qui existent au Mexique, mais surtout à continuer avec obstination, de continuer à nommer les disparus face aux responsables de leur malheur, à demander justice face à l’orgueil du puissant, à enseigner la rébellion et la résistance face au conformisme et au cynisme. « Nous voulons vous remercier pour l’enseignement que vous êtes en train de nous donner ».

Traduit par Les trois passants/ correcteurs Valérie et Amparo
http://liberonsles.wordpress.com/

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Paroles du Commandement Général de l’EZLN, par la voix du Sous-commandant Insurgé Moisés, en conclusion de l’évènement avec la caravane des familles des disparus et étudiants d’Ayotzinapa, au caracol d’Oventik, le 15 novembre 2014.

Mères, Pères et familles de nos frères assassinés et disparus à Iguala, Guerrero :
Étudiants de l’École Normale “Raúl Isidro Burgos” d’Ayotzinapa, Guerrero :

Frères et sœurs :

Nous vous remercions de tout cœur de nous avoir livré votre parole.
Nous savons que pour pouvoir nous porter cette parole directe, sans intermédiaires, sans interprétations à distance, vous avez dû voyager de longues heures et souffrir la fatigue, la faim, le sommeil.

Nous savons aussi que pour vous, ce sacrifice fait partie du devoir que vous sentez.
Le devoir de ne pas abandonner les compagnons disparus à cause des mauvais gouvernements, de ne pas les vendre, de ne pas les oublier.
C’est par devoir que vous avez commencé votre lutte quand on ne faisait aucun cas de vous et que les frères aujourd’hui disparus étaient catalogués comme « chauves », « nouvices », « révoltés », « futurs délinquants qui l’ont bien mérité », « drogués », « radicaux », « banlieusards », « agitateurs ».
C’est ainsi que les appelaient beaucoup de ceux qui maintenant s’entassent sur votre digne rage suivant la mode ou la convenance, lorsqu’ils voulaient alors rejeter la faute sur la Normale Raúl Isidro Burgos.
Il y en a encore, là-haut, qui persistent à essayer, souhaitant ainsi nous distraire et cacher le véritable coupable.
Par devoir vous avez commencé à parler, à crier, à expliquer, à conter, à utiliser la parole avec courage, avec une rage digne.
Aujourd’hui, au milieu des paroles creuses que d’autres crachent sur votre digne cause, ils se disputent pour savoir qui a fait que vous soyez connus, écoutés, compris, embrassés.

Peut-être ne vous l’a-t-on pas dit, mais c’est vous, les familles et compagnons des étudiants morts et disparus qui êtes arrivés, à la force de votre douleur, et de cette douleur convertie en rage digne et noble, à ce que beaucoup au Mexique et dans le Monde, se réveillent, questionnent, s’interrogent.

Pour cela nous vous remercions.
Non seulement d’honorer nos oreilles de votre parole, humbles que nous sommes : sans impact médiatique ; sans contacts avec les mauvais gouvernements ; sans capacités ni connaissances pour vous accompagner, épaule contre épaule, dans l’incessant aller-retour de la recherche de vos êtres chers qui le sont maintenant aussi pour des millions qui ne les ont pas connu ; sans les mots suffisants pour vous apporter réconfort, soulagement, espérance.
Aussi et surtout, nous vous remercions pour votre acharnement héroïque, votre sage entêtement à nommer les disparus face aux responsables de votre infortune, de réclamer justice face à la superbe du puissant, d’enseigner la révolte et la résistance face au conformisme et au cynisme.
Nous voulons vous remercier pour les enseignements que vous nous avez apportés et que vous continuez à nous apporter.
C’est terrible et merveilleux que les familles et les étudiants pauvres et humbles aspirant à devenir professeurs, se soient changés en professeurs, les meilleurs qu’aient connu les cieux de ce pays ces dernières années.

Frères et sœurs :
Votre parole a été et est pour nous une force.
C’est comme si vous nous aviez donné un aliment alors que nous étions loin, alors que nous ne nous connaissions pas, alors que nous séparaient les calendriers et les géographies, c’est-à-dire, le temps et la distance.
Et nous vous remercions également parce que maintenant nous voyons, nous entendons, et lisons que d’autres essayent de cacher votre parole dure, forte, ce qu’est le noyau de douleur et de rage qui a tout mis en branle.
Et nous, nous voyons, nous entendons et nous lisons que maintenant on parle de portes dont personne ne se souciait avant.
Oubliant qu’en leur temps ces portes servaient à signaler à ceux de dehors qu’en aucun cas ils n’était tenu compte d’eux dans les décisions que prenaient ceux de dedans.
Oubliant que dorénavant ces portes ne sont qu’une partie d’une coquille inutile, où on simule la souveraineté et où il n’y a que servilité et soumission.
Oubliant que ces portes ne donnent que sur un grand centre commercial où le peuple du dehors n’entre pas, et où se vendent les pièces brisées de ce qui fut un jour la Nation mexicaine.
Nous n’avons que faire, nous, de ces portes.
Pas plus que nous importe qu’ils les brûlent, qu’ils les adorent, ni qu’ils les voient avec rage, ou avec nostalgie, ou désir.
Pour nous, votre parole importe plus.
Votre rage, votre révolte, votre résistance.
Parce que là-haut on parle, on discute, on allègue, que si la violence ou la non-violence, mettant de côté que la violence s’assoit chaque jour à la table des « en trop », qu’elle marche avec elles et eux au travail, à l’école, elle rentre avec elles et eux à la maison, elle dort avec elles et eux, elle fait du rêve et de la réalité un cauchemar sans tenir compte de l’âge, de la race, du genre, de la langue, de la culture.
Et nous, nous écoutons, nous voyons et nous lisons que là-bas dehors les putschismes de droite et de gauche discutent de qui dégager pour voir qui s’y met.
Et c’est ainsi qu’on oublie que l’ensemble du système politique est pourri.
Ce n’est pas tant qu’il y ait des relations avec le crime organisé, avec le narcotrafic, avec le harcèlement, les agressions, les violations, les coups, les prisons, les disparitions, les assassinats, mais bien que tout cela fait partie de son essence.
Car on ne peut plus parler maintenant de classe politique et la distinguer des cauchemars dont souffrent et que subissent des millions sur ces terres.
Corruption, impunité, autoritarisme, crime organisé ou désorganisé, sont maintenant dans les emblèmes, les statuts, les déclarations d’intentions et les pratiques de toute la classe politique mexicaine.
Nous, nous ne nous intéressons pas aux dits et dédits, aux accords et désaccords que ceux d’en-haut ont pour décider de qui se charge dorénavant de la machine de destruction et de mort qu’est devenu l’État mexicain.

Pour nous importent vos paroles.
Votre rage, votre révolte, votre résistance.
Et nous, nous voyons, lisons et entendons que là-bas dehors ils discutent de calendriers, toujours les calendriers d’en-haut, avec leurs dates trompeuses qui dissimulent les oppressions que nous subissons aujourd’hui.
Parce qu’on oublie que derrière Zapata et Villa se cachent ceux qui sont restés : les Carranza, Obrégon, Calles et la longue liste des noms qui, sur le sang de ceux qui furent comme nous, prolongent la terreur jusqu’à nos jours.

Pour nous importent vos paroles.
Votre rage, votre révolte, votre résistance.
Et nous, nous lisons, nous entendons et voyons que là-bas dehors ils discutent tactiques et stratégies, les méthodes, le programme, le « que faire », qui commande qui, qui ordonne, où ils vont.
Et on oublie que les revendications sont simples et claires : ils et elles doivent toutes et tous réapparaître en vie, pas seulement ceux de Ayotzinapa ; les coupables de tout le spectre politique et de tous les niveaux doivent être punis ; le nécessaire doit être fait pour que plus jamais ne se répète l’horreur contre qui que ce soit au monde, même s’il ne s’agit pas d’une personnalité ou de quelqu’un de prestige.

Pour nous importent vos paroles.
Votre rage, votre révolte, votre résistance.
Parce que dans vos paroles nous nous entendons nous-mêmes.
Dans ces mots nous nous entendons dire et nous dire que personne ne pense aux pauvres d’en-bas.
Personne, absolument personne ne pense à nous.
Ils ne font que feindre d’être là pour voir ce qui va en sortir, de combien ils vont grandir, ce qu’ils vont gagner, ce qu’ils vont faire payer, ce qu’ils vont faire, ce qu’ils vont défaire, ce qu’ils vont dire, ce qu’ils vont taire.
Il y a quelques jours, dans les premiers jours d’octobre, lorsqu’on commençait à peine à comprendre l’horreur de ce qui s’était passé, nous vous avons envoyé quelques mots.
Petits comme le sont nos mots depuis bien longtemps.
Peu de mots parce que la douleur ne trouve aucun mot suffisant qui la dise, qui l’explique, qui la soulage, qui la soigne.
Enfin nous vous disions que vous n’étiez pas seuls.
Mais avec ça nous ne vous disions pas juste que nous vous soutenions, que, bien que loin, votre douleur était la nôtre, comme nôtre est votre digne rage.
Oui, nous vous avons dit ça mais pas seulement ça.
Nous vous disions aussi que dans votre douleur et dans votre rage vous n’étiez pas seuls car des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et d’anciens connaissent dans leur propre chair ce cauchemar.

Vous n’êtes pas seuls frères, sœurs.
Cherchez également vos mots chez les familles des petits garçons et petites filles assassinés à la garderie ABC dans le Sonora ; chez les organisations pour les disparus du Coahuila, chez les familles des victimes innocentes de la guerre, perdue dès le début, contre le narcotrafic ; chez les familles des milliers de migrants éliminés tout au long du territoire mexicain.
Cherchez chez toutes les victimes quotidiennes qui, dans tous les recoins de notre pays, savent que l’autorité légale est de qui frappe, anéantit, vole, enlève, extorque, viole, emprisonne, assassine, parfois revêtu de l’habit d’une organisation criminelle et parfois en tant que gouvernement légalement constitué.
Cherchez chez les peuples originaires qui, depuis avant que le temps soit le temps, accumulent la sagesse pour résister et qui connaissent mieux que quiconque la douleur et la rage.
Cherchez le Yaqui et vous le trouverez en vous.
Cherchez le Nahua et vous verrez que sa parole est accueil.
Cherchez le Ñahtó et le reflet sera mutuel.
Cherchez ceux qui ont élevé ces terres et avec leur sang ont accouché de cette Nation avant qu’ils ne l’appellent « Mexique », et vous saurez qu’en-bas la parole est un pont qu’on traverse sans peur.
C’est pour ça que votre parole a de la force.
Dans votre parole des millions s’y sont vus réfléchis.
Beaucoup le disent, bien que la majorité le taise mais ils font leurs vos revendications et en leur fort intérieur répètent vos paroles.
Ils s’identifient à vous, avec leur douleur et leur rage.
Nous savons, nous, que beaucoup ont besoin de vous, exigent de vous, vous poursuivent, veulent vous mener vers un destin ou un autre, veulent vous utiliser, voudraient vous commander.
Nous savons qu’ils font beaucoup de bruit autour de vous.
Nous ne voulons pas être un bruit de plus.
Nous, nous voulons seulement vous dire de ne pas laisser tomber votre parole.
Ne la laissez pas tomber.
Ne la faites pas s’évanouir.
Faites-la grandir pour qu’elle s’élève au-dessus du bruit et des mensonges.
Ne l’abandonnez pas parce qu’en elle avance non seulement la mémoire de vos morts et disparus, mais avance aussi la rage de ceux qui sont en-bas aujourd’hui, pour qu’ils soient ceux d’en-haut.

Sœurs, frères :
Nous pensons que peut-être vous savez qu’il peut arriver que vous restiez seuls et que vous êtes prêts.
Qu’il peut arriver que ceux qui aujourd’hui s’entassent au-dessus de vous pour vous utiliser à leur propre profit, vous laissent tomber et courent après une autre mode, un autre mouvement, une autre mobilisation.
Nous vous parlons de ce que nous connaissons car cela fait maintenant partie de notre histoire.
Imaginez que soient 100 ceux qui vous accompagnent dans vos revendications.
Sur ces 100, 50 vous échangeront pour la nouvelle mode du calendrier.
Sur les 50 qui restent, 30 achèteront l’oubli qu’on offre maintenant en récompense ou à crédit et ils penseront de vous que vous n’existez pas, que vous n’avez rien fait, que vous n’avez été qu’une farce pour les distraire d’autre chose, que vous étiez une invention du gouvernement pour empêcher l’avancée de tel parti ou tel personnage politique.
Des 20 restant, 19 partiront épouvantés à la première vitrine brisée parce que les victimes d’Ayotzinapa, du Sonora, du Coahuila, de n’importe quelle géographie, ne restent dans les médias de communication qu’un moment et qu’on peut choisir de ne pas voir, de ne pas entendre, de ne pas lire, de tourner le dos à l’information, en changeant de canal ou de station, alors qu’une vitrine brisée est, à l’inverse, une prophétie.
Et alors, sur les 100 vous verrez qu’il n’en reste qu’un, qu’une, qu’un.e.
Mais cet un ou une ou un.e, s’est découvert dans vos mots ; a ouvert son cœur, comme nous disons, et dans ce cœur a été semé la douleur et la rage de votre indignation.
Non seulement pour vos morts et disparus mais aussi pour ce un, cette une, ce un.e sur cent, vous devez continuer.
Parce que ce un ou une ou un.e, tout comme vous, ne se rend pas, ne se vend pas, ne cède pas.
Partie de ce un pour cent, peut-être la plus petite, nous sommes et seront les hommes et femmes zapatistes.
Mais pas seulement.
Il y en a beaucoup d’autres.
Parce que finalement les peu sont peu jusqu’à ce qu’ils se rencontrent et se découvrent dans les autres.
Il se passera alors quelque chose de terrible et merveilleux.
Et ceux qui se pensaient peu et seuls, découvriront que nous sommes majoritaires, dans tous les sens.
Et que ce sont ceux d’en-haut qui sont peu en vérité.
Et il faudra alors renverser le monde parce qu’il est injuste que les peu dominent les nombreux, les nombreuses.
Parce qu’il est injuste qu’il y ait des dominants et des dominés.

Sœurs, frères :
Tout cela nous le disons selon nos pensées que sont nos histoires.
Vous, dans vos propres histoires, vous entendrez bien d’autres pensées, comme en ce moment où vous nous faites l’honneur d’écouter les nôtres.
Et vous possédez la sagesse pour prendre ce que vous percevez comme bon et jeter ce que vous percevez comme mauvais parmi ces pensées.
Nous, en tant que femmes et hommes zapatistes, nous pensons que les changements qui comptent vraiment, ceux qui sont profonds, ceux qui font d’autres histoires, sont ceux qui commencent avec les peu et non avec les beaucoup.
Mais nous savons que vous savez que même si Ayotzinapa passe de mode, que même si les grands plans s’effondrent, les stratégies et les tactiques, que même si passent les conjonctures et que d’autres intérêts et forces soient à la mode, que même si s’en vont ceux qui aujourd’hui s’entassent sur vous tels des charognards qui prospèrent sur la douleur des autres, même si tout ceci arrivait, vous et nous savons qu’il y a dans tous les coins une douleur comme la nôtre, une rage comme la nôtre, et un acharnement comme le nôtre.
Nous, en tant qu’hommes et femmes zapatistes que nous sommes, nous vous invitons à aller vers ces douleurs et ces rages.
Cherchez-les, trouvez-les, respectez-les, parlez-leur et écoutez-les, échangez vos douleurs.
Car nous savons que lorsque des douleurs différentes se rencontrent elles n’éclosent pas en résignation, peine et abandon, mais en révolte organisée.
Nous savons que dans vos cœurs, indépendamment de vos credo et de vos idéologies et organisations politiques, vous êtes animés par l’exigence de justice.
Ne vous brisez pas.
Ne vous divisez pas, pour pouvoir arriver plus loin.
Et surtout, n’oubliez pas que vous n’êtes pas seuls.

Sœurs, frères :
De toutes nos petites forces mais de tout notre cœur nous avons fait et nous ferons le possible pour soutenir votre juste lutte.
Nos paroles n’ont pas été nombreuses car nous avons vu qu’il y avait beaucoup d’intérêts, des politiques d’en-haut en première ligne, qui cherchent à vous utiliser à leur goût ou convenance, et nous ne joignons pas et ne nous joindrons pas au vol des rapaces opportunistes sans scrupules pour qui il n’importe pas que réapparaissent en vie ceux qui aujourd’hui nous manquent, si ce n’est à apporter de l’eau au moulin de leurs ambitions.
Notre silence a signifié et signifie le respect car l’envergure de votre lutte est gigantesque.
C’est pour ça que les pas pour vous faire savoir que vous n’étiez pas seuls ont été silencieux, pour que vous sachiez que votre douleur est nôtre et également nôtre votre digne rage.
C’est pour ça que nos petites lumières se sont allumées là où personne d’autre ne tient les comptes que nous.
Ceux qui voient dans nos efforts bien peu de choses ou les ignorent, et nous réclament et exigent que nous parlions, que nous nous prononcions, que nous ajoutions du bruit au bruit, ils sont racistes ceux qui méprisent ce qui n’apparaît pas en-haut.
Car il est important que vous sachiez que nous vous soutenons, mais il est aussi important que nous sachions que nous soutenons une cause juste, noble et digne, telle que celle qui porte aujourd’hui votre caravane à travers tout le pays.
Parce que, savoir que nous soutenons un mouvement honnête, cela est pour nous aliment et espérance.
Il serait dommage qu’il n’y ait aucun mouvement honnête, et que dans l’ample en-bas que nous sommes ait été dupliquée la farce grotesque d’en-haut.
Nous pensons que ceux qui se fient à un calendrier d’en-haut ou à une date butoir, vous abandonneront dès qu’une nouvelle date apparaîtra à leur horizon.
Menés par le bout du nez par une conjoncture pour laquelle ils n’ont rien fait et qu’ils méprisaient au départ, ils espèrent que « les masses » leur ouvriront le chemin du Pouvoir et qu’un nom chasse l’autre en-haut tandis qu’en-bas rien ne change.
Nous, nous pensons que les conjonctures qui transforment le monde ne naissent pas des calendriers d’en-haut, mais qu’elles sont créées par le travail quotidien, obstiné et continue de ceux qui choisissent de s’organiser plutôt que de se rallier à la dernière mode.
Certainement il y aura un changement profond, une transformation réelle ici et sur d’autres sols blessés du monde.
Pas une mais de nombreuses révolutions devront secouer la planète entière.
Mais le résultat n’en sera pas un changement de noms et d’étiquettes où celui d’en-haut demeure en-haut aux dépens de ceux qui sont en-bas.
La réelle transformation ne sera pas un changement de gouvernement, mais de relation, une où le peuple ordonne et le gouvernement obéit.
Une où être gouvernant ne soit pas un business.
Une où être femmes, hommes, autres, garçonnets, fillettes, anciens, jeunes, travailleurs ou travailleuses du champ et de la ville, ne soit ni un cauchemar ni être comme une pièce de chasse pour le bon plaisir et l’enrichissement de gouvernants.
Une où la femme ne soit pas humiliée, l’indigène méprisé, le jeune disparu, le différent satanisé, l’enfance devenue une marchandise, la vieillesse mise au rencart.
Une où la terreur et la mort ne règnent pas.
Une où il n’y ait ni roi ni sujet, ni maître ni esclave, ni exploiteur ni exploité, ni sauveur ni sauvé, ni leader ni suiveur, ni pasteur ni troupeau.
Oui, nous savons que ce ne sera pas facile.
Oui, nous savons aussi que ce ne sera pas rapide.
Oui, mais nous savons aussi bien que ce ne sera pas un changement de nom et d’enseigne sur le criminel édifice du système.
Mais nous savons que ça sera.
Et nous savons aussi que vous et tous retrouveront leurs disparus, que justice sera faite, que pour toutes et tous ceux qui ont subi et subissent cette peine il y aura le soulagement d’avoir des réponses au pourquoi, quoi, qui et comment, et sur ces réponses non seulement élever le châtiment des responsables, mais aussi faire le nécessaire pour que ça ne se répète pas et qu’être jeune et étudiant, ou femme, ou enfant, ou migrant, ou indigène, ou quiconque, ne soit pas une marque pour que le bourreau en poste identifie sa prochaine victime.
Nous savons qu’il en sera ainsi car nous avons entendu quelque chose que nous avons en commun, parmi beaucoup d’autres choses.
Parce que nous savons que ni vous et ni nous ne nous vendrons, que nous ne céderons pas et que nous ne nous rendrons pas.

Frères, sœurs :
De notre côté nous souhaitons seulement que vous emportiez avec vous cette pensée que nous vous avons livrée depuis le fond de notre cœur collectif :
Merci pour vos paroles, frères et sœurs.
Mais surtout, merci pour votre lutte.
Merci parce qu’en vous rencontrant, nous savons que l’horizon est désormais visible…

Démocratie !
Liberté !
Justice !

Depuis les montagnes du Sud-est Mexicain.
Pour le Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène- Commandement Général de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale.

Sous-commandant Insurgé Moisés.

Mexique, le 15 novembre 2014, dans la vingtième année du début de la guerre contre l’oubli.

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