Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Message de l’Eurocaravane 43 à la société civile en Europe

vendredi 22 mai 2015

La délégation de l’Eurocaravana 43 a commencé sa tournée à travers 13 pays d’Europe. Pendant leur séjour à Paris ils ont donné une conférence de presse ouverte aux médias libres le 4 mai. L’Eurocaravana 43 est composée d’Omar García, l’un des 50 étudiants de l’École normale rurale Isidro Burgos -connue aussi sous le nom de Normale d’Ayotzinapa- qui ont survécu aux événements du 26 septembre 2014 à Iguala , de Don Eleucadio Ortega, père de Mauricio Ortega Valerio -l’un des 43 étudiants disparus- et de Román Hernández, membre du Centre de droits de l’homme de la Montagne Tlachinollan de Guerrero.
Ceci est le message qu’ils veulent faire passer :

Román Hernández : L’objectif central de cette conférence de presse est de donner un message aux médias libres pour qu’ils le transmettent à la société civile en France. Nous avons décidé de réaliser ce parcours par différents pays d’Europe en ayant pour seul interlocuteur la société civile parce que nous avons vu qu’à l’origine de la disparition des 43 camarades de la Normale d’Ayotzinapa on trouve les mêmes causes que celles qui ont forcé des gens à se déplacer en Afrique ou au Moyen-Orient, c’est à dire un système qui nous emprisonne, qui nous maltraite en tant que peuple et en tant que société.
Nous sommes venus aussi pour informer la société civile que la demande de présentation en vie des 43 étudiants normaliens d’Ayotzinapa est toujours en vigueur, qu’elle est toujours d’actualité. Nous sommes aussi venus vous dire qu’au Mexique il y a une grave crise des droits de l’homme qui nous a obligé à nous organiser pour trouver des manières de garantir nos propres droits. C’est une responsabilité que nous devons assumer en tant que société face à l’État qui a démontré qu’il répond à des intérêts autres que ceux de garantir le respect des droits de l’homme.

Eleucadio Ortega : Bonsoir, je suis le père de Mauricio Ortega Valerio, étudiant de la Normale d’Ayotzinapa, disparu depuis le 26 septembre 2014. Nous sommes venus pour vous informer de ce qui se passe au Mexique, de la façon d’agir du gouvernement mexicain, comme le 26 et 27 septembre 2014 où 43 normaliens sont disparus. Nous sommes venus dans ce pays pour qu’il fasse pression sur le gouvernement mexicain afin qu’il nous rende nos enfants. Le gouvernement mexicain nous a toujours trompés en nous disant que nos enfants sont morts, qu’ils ont tous été brûlés. Nous pensons qu’ils les retiennent. Le gouvernement veut faire disparaître l’École normale d’Ayotzinapa, c’est pour ça qu’ils les ont enlevés. Mais nous ne croyons pas à ce que dit le gouvernement mexicain parce qu’il n’y a pas de preuve scientifique. L’équipe argentine (d’anthropologie médico-légale) l’a déclaré à la suite des analyses qu’ils ont fait à tous les parents d’étudiants. Même si le gouvernement a essayé de nous faire accepter les corps des 28 fosses qui ont été découvertes autour d’Iguala comme étant les corps des étudiants, d’après les analyses réalisées par les argentins, ce n’est pas vrai ! Le gouvernement mexicain a aussi dit que les 43 ont été incinérés dans la décharge de Cocula et que leurs cendres ont été déversées dans la rivière San Juan. Nous sommes allés, nous tous les parents, pour voir si c’était vrai mais nous avons vu que ce n’était pas possible d’avoir brûlé autant de corps dans l’espace qu’occupe la décharge. C’est pour cela que nous ne croyons plus au gouvernement mexicain, parce ils nous a menti et a décidé de clore l’affaire d’Ayotzinapa. Mais nous resterons en lutte jusqu’à ce que nous retrouvions les 43 étudiants vivants. Ce n’est pas seulement dans l’état de Guerrero qu’on massacre les étudiants mais partout au Mexique. Il n’y a pas de justice pour les étudiants, pour les pauvres. Dans d’autres municipalités où les paysans se font massacrer on ne se plaint jamais parce qu’ils savent que le gouvernement a tout avec lui : l’armée, la police fédérale. C’est pour ça que dans toutes les municipalités du Guerrero les soldats et les policiers fédéraux sont partout, pour intimider les gens, pour qu’ils ne protestent plus. Nous exigeons du gouvernement qu’il retire l’armée, la police fédérale et la gendarmerie, pour nous ils ne servent à rien et nous exigeons que les 43 étudiants d’Ayotzinapa réapparaissent vivants. Le gouvernement mexicain pense qu’il va nous avoir à l’usure et nous diviser mais nous continuerons la lutte jusqu’à ce qu’ils réapparaissent. En plus, actuellement, je n’ai pas pu faire mon travail, mon métier. Je suis caféiculteur, planteur de café, ma production est entreposée chez moi. Qui va me payer mes journées ? … J’accuse le gouvernement, c’est lui le responsable du massacre et de tout ce qui s’est passé. Je remercie tous les collectifs, tous ceux qui sont là pour nous aider et qui continueront à nous aider à retrouver les 43 étudiants vivants. Merci.

Omar García : Bonjour, compañeros, merci d’être là avec nous. L’un des objectifs de cette caravane internationale est de diffuser au maximum. Que tout le monde sache ce qui s’est passé les 26 et 27 septembre. Parceque au sein du mouvement social et dans tous les pays, mais surtout au Mexique, il y a une tendance à oublier avec le temps. C’est la vérité qui tend à disparaître. Cette lutte est devenu aussi une lutte contre l’oubli. Une lutte contre la résignation et contre la réalité que nous ne voulons pas accepter. Voyez, compañeros, nous savons que vous êtes des medias libres et nous apprécions trop le travail des médias libres parce que depuis les 26 et 27 septembre vous nous avez accompagné et aidé à diffuser l’information. Là où beaucoup de médias au Mexique se sont retirés parce qu’il n’y a plus de fait divers, parcequ’ il n’y a plus de sang à prendre en photo, les médias libres sont restés à nous côtés. Nous pourrions en donner beaucoup d’exemples ! au Mexique il y a beaucoup de médias libres mais il faut souligner qu’il y a toujours une presse officielle très puissante, des leaders d’opinion qui sont influents et arrivent (et il y sont bien arrivés !) à faire que beaucoup de gens commencent à se désintéresser du mouvement….Des médias qui ont réussi à nous stigmatiser, à faire que l’idée qui criminalise notre mouvement se propage dans la société. Et il a réussi à faire établir au Mexique un climat de répression qui se rapproche. Malgré la menace de répression contre le mouvement d’Ayotzinapa. Tout cela est arrivé à la suite du 27 janvier lors de la dernière conférence de presse du procureur, quand il a dit que nos camarades avaient été incinérés. C’est seulement des médias officiels de la presse internationale qui continue à couvrir le problème.
Quel est l’objectif de cette réunion ? Est-ce de donner une conférence de presse traditionnelle où l’on déverse de l’information, ou bien nous voulons quelque chose de plus ? Il est évident que nous voulons quelque chose de plus que de l’information, nous voulons quelque chose de plus que la diffusion de ce que nous disons et faisons…Parce que nous entendons qu’en tant que médias libres vous êtes aussi des médias militants, des médias qui veulent changer les rapports de pouvoir que dominent le monde entier actuellement. Pour ça, nous voulons que vous entendiez que nous nous adressons à des compañeros et compañeras plus qu’à des médias libres, que vous entendiez que nous sommes vos compañeros.

Román Hernández : Principalement nous voulons vous demander votre soutien comme medias libres pour faire savoir que les pères et les mères continuent à chercher leurs enfants bien que le gouvernement mexicain les ait donnés pour morts. Nous voulons aussi que vous nous aidiez à faire savoir qu’il est nécessaire que dans tous les actes officiels du gouvernement mexicain on lui rappelle qu’il nous manque les 43, et que ce n’est pas seulement 43 mais plus de 23000 disparus depuis 2006 et plus de 150000 assassinés en 10 ans. Nous voulons aussi que vous nous aidiez à inviter la société civile à faire pression sur les gouvernements d’Europe et que vous trouviez le moyen pour que ces gouvernements exigent le respect des droits de l’homme avant d’exiger des garanties aux investissement privés étrangers. Nous voulons aussi que vous fassiez savoir à la société civile française que nous respectons ses luttes et ses formes d’organisation. Une des principales demandes, après celle de la présentation « en vie » des 43 compañeros de la Normale d’Ayotzinapa, c’est d’avoir des garanties réelles que cela ne se répétera pas. Nous nous sommes rendus compte que nous ne pouvions pas demander de vraies garanties réelles aux gouvernements ou aux institutions à l’origine même de ces violations graves des droits de l’homme. C’est pour cela que la construction de ces garanties réelles est une tâche très grande pour nous au Mexique, dans le Guerrero, et nous avons besoin de la société civile pour y arriver. Nous entendons que ce sont les mêmes causes qui ont permis ou poussé des milliers de personnes à traverser la Méditerranée. Nous voyons aussi que la brutalité policière est quelque chose que l’on subit autant au Mexique qu’en France. Nous voyons que la lutte contre la spoliation menée par les peuples du Mexique est la même lutte que celle contre la spoliation des peuples de la Palestine et du Kurdistan. Nous voulons donc nous inviter à rester organisés dans vos luttes parce que nous entendons que lutter pour les droits des migrants en Europe c’est lutter pour Ayotzinapa, que lutter contre l’extermination du peuple palestinien et kurde c’est lutter pour Ayotzinapa, que lutter dans vos squats, dans vos centres sociaux c’est lutter pour Ayotzinapa. Nous voulons que vous portiez ce message à la société civile, aux collectifs et aux organisations. Parce que c’est la responsabilité de tous et surtout de la société civile de l’Union européenne de transformer en profondeur les relations sociales qui ont permis autant de violations graves aux droits de l’homme de par le monde.
Quelque chose en particulier qui revient à la société française est de faire savoir à Peña Nieto lors de sa visite en juillet prochain qu’il nous manque les 43 et que les décorations que votre président est en train de lui offrir sont là pour lui donner un visage propre, et qu’en conséquence, il sera désigné comme complice.
C’est donc cela le message que nous voulons faire passer à la société civile en France et en Europe, c’est pour cela que vous vous demandons votre soutien.

Omar García : nous demandons aux collectifs de créer un réseau international de solidarité pour faire circuler l’information à niveau européen. Ce mouvement a été un facteur d’unité, d’unification. Soudain, des gens qui ne se connaissaient même pas, qui n’avaient même pas participé à une manifestation se retrouvent à y participer. Faisons donc une réalité de ce discours d’unité que nous, les mouvements sociaux, les collectifs, avons toujours utilisé, le moment c’est maintenant. Créons donc ce réseau international de médias libres, d’infos libres pour diffuser non seulement le problème d’Ayotzinapa mais aussi d’autres. Perdons cette habitude de l’expertise que nous avons vue aussi. Nous sommes impitoyables, ça oui, nous disons ce que nous voyons. Et nous voulons que vous soyez impitoyables avec nous, nous voulons savoir si nous commettons des erreurs.
Aujourd’hui c’est nous qui avons un grave problème, nous n’avons pas honte de le dire, nous l’assumons ! Parler de disparitions forcées c’est revenir à l’époque des dictatures militaires d’Amérique latine. Nous condamnons la disparition forcée, nous ne sommes pas d’accord pour être l’objet d’une disparition forcée. Les gens doivent être d’accord sur ce point, les Français doivent être d’accord. Peu importe si l’on parle de Français pauvres ou de Français riches, nous voulons qu’ils soient d’accords. Les français se sont opposés à l’occupation nazi, même si nous savons que ce ne sont pas les majorités qui participent aux mouvements sociaux ! Les majorités restent toujours neutres et indifférentes.
Au Mexique prédomine un mouvement qui ne fait que confronter, les mouvements ont l’habitude de confronter, pas celle de construire. De là est partie la proposition de boycotter les élections, de les empêcher. Le gouvernement a répondu qu’il va les réaliser par le biais de la présence de l’armée.

Román Hernández : L’une des choses qui ont vu le jour et qui ont été acceptées par la classe politique depuis le 26 septembre c’est la collusion entre le crime organisé et les trois niveaux de gouvernement (municipalité, État fédéral, Gouvernement mexicain). Le mouvement social dans le Guerrero a fait savoir que tant que l’on ne pourrait pas garantir que les partis politiques et les gouvernements n’hébergeaient pas de membres du crime organisé, il n’y aurait pas les conditions pour réaliser des élections. L’analyse faite au Mexique -et particulièrement dans le Guerrero- c’est que : participer dans les prochaines élections équivaut à choisir entre être gouvernés par les Guerriers unis, les Rouges ou un autre cartel. Nous ne disons pas cela à la légère, l’institution qui vient de faire des recherches d’intelligence au Mexique a publié des documents sur « les points chauds » dans le Guerrero, c’est comme ça qu’ils les appellent en termes de sécurité ! Nous avons eu accès à une document du SISEN (Sécurité intérieure), qui est l’institution qui fait de l’investigation, qui fait un travail d’intelligence, et nous avons pu remarquer que 90% des investigations qu’elle réalise sur la situation actuelle dans le Guerrero est dirigé contre les militants, les organisations de la société civile, les défenseurs des droits de l’homme. Seulement 10% de ce rapport est dirigé aux investigations – entre de grands guillemets – sur les maires qui ont des liens avec le crime organisé. Cette institution a des cartes sur les relations sociales de certains membres des organisations sociales, de leurs thèmes de recherche, leurs activités. Tout cela concernant les défenseurs des droits de l’homme. En ce qui concerne les politiciens en lien avec le trafic de drogues, il n’a que leurs noms, leurs partis politiques et le groupe de délinquants auquel ils sont liés. Nous pensons donc que l’État mexicain tolère le crime organisé et qu’il en est complice. C’est pour cela que, en tant que société, nous avons manifesté parce qu’il n’y a pas de conditions pour réaliser ces élections.

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