Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

Accueil > Articles de presse > Chronique d’Oaxaca, 6 novembre 2006

Chronique d’Oaxaca, 6 novembre 2006

Annick Stevens

mardi 7 novembre 2006

Chronique d’Oaxaca, 6 novembre 2006

Un résumé des événements de la semaine passée

Vendredi 27 octobre des hommes armés en civil tirent contre les barricades et tuent trois personnes dont un journaliste new-yorkais d’Indymedia. Soi-disant pour rétablir l’ordre, le dimanche 29 octobre, à partir de 14 heures, 4 000 policiers de la PFP (Policia Federal Preventiva) s’avancent vers le centre d’Oaxaca, détruisent les barricades, repoussent les occupants avec camions à eau, gaz lacrymogènes et tirs d’armes à feu. Derrière les barricades, des vieilles femmes ravitaillent en pierres les jeunes qui les lancent sur les policiers. Certains militants avaient d’abord tenté de dialoguer avec ceux-ci : "Puisque vous êtes aussi foutrement baisés que nous, pourquoi vous nous faites ça et vous ne nous débarrassez pas d’Ulises ?" Alors que le zócalo est déjà occupé par la PFP, des centaines d’habitants s’y dirigent en familles et s’y installent
comme chaque dimanche. Cette première journée d’assaut cause trois morts civils : un infirmier, un professeur et un enfant.

Durant tout l’après-midi, la direction de l’APPO n’a pas cessé d’essayer
de contacter par téléphone la Secretaria de Gobernacion, ministère fédéral responsable de la police, en vain. Ils insistent dans tous leurs
communiqués pour que les Mexicains et les citoyens du monde entier
comprennent bien que ce n’est pas l’APPO qui a rompu le dialogue. Ils
accusent le président Fox d’avoir choisi la répression violente malgré ses déclarations lénifiantes de solution pacifique, et dans la foulée accusent Felipe Calderón (futur président élu frauduleusement) de complicité :
"Pauvre petit Calderón. Après ce qu’il a fait aujourd’hui, avant d’être
président, il ne va pas poser un pied à Oaxaca durant tout son mandat."

À 19 heures, l’APPO abandonne le centre et se replie dans la cité
universitaire. La répression se poursuit pendant la nuit, dans la ville et dans les colonies [quartiers, colonias en espagnol] proches, et une cinquantaine de militants sont arrêtés à leur domicile.

La radio universitaire est la dernière radio qui subsiste aux mains des
sympathisants de l’APPO : des étudiants l’occupent depuis six mois avec le consentement tacite du rectorat. Elle sert de moyen de tramission
d’urgence : demandes d’envoi de médecins, de renforcement d’une barricade, etc. Entre ces communiqués et les chants révolutionnaires, elle diffuse les messages de solidarité qui affluent du monde entier.

Le recteur de l’Université autonome Benito Juárez d’Oaxaca (UABJO),
Francisco Martinez Neri, exprime officiellement son inquiétude quant au
risque de violences contre la communauté universitaire et condamne
d’avance toute tentative de prise du campus par les policiers. Il appelle à la résolution de conflits par le dialogue et la négociation, selon la tradition démocratique d’un État de droit.

Les étudiants et les militants de l’APPO renforcent la défense de l’accès à la radio et préparent leurs armes : pierres et lance-pierres, cocktails Molotov, "basukas" consistant en un tube de PVC rempli de poudre à pétards - "une authentique métaphore de David et Goliath", commente un journaliste de "La Jornada".

Le jeudi 2 novembre, la PFP donne l’assaut à l’université, malgré le refus très clair du recteur qui rappelle que la loi mexicaine interdit
l’incursion des forces de l’ordre dans les universités autonomes, à moins qu’elles soient appelées par le rectorat. Les résistants sont environ 50 000, tous les habitants du quartier et les étudiants s’étant massés autour du campus pour le défendre. Après sept heures d’affrontements très violents, la PFP doit se retirer sans avoir réussi à atteindre le cœur du campus. Officiellement, ils diront qu’ils "n’ont jamais essayé d’entrer" ! Les résistants déplorent cependant une vingtaine de morts*, une centaine de blessés, plus de 120 prisonniers et de nombreux disparus.

Solidarité nationale et internationale

Les marques de soutien et d’appui surgissent de tout le pays ainsi que de nombreux pays d’Amérique et d’Europe. L’"Autre Campagne" des zapatistes, qui se trouve dans le Nord, ainsi qu’une multitude d’associations indigènes appellent à bloquer routes, autoroutes et ponts. Ils invitent à organiser une grève nationale le 20 novembre. La communauté "Las Abejas" organisera le 9 novembre une caravane depuis le Chiapas pour apporter vivres et médicaments à Oaxaca. Tous les communiqués montrent la même conscience de lutter contre les mêmes exploiteurs, les mêmes dominateurs voleurs de terres et de ressources naturelles, corrompus et assassins.

Dans l’État d’Oaxaca comme dans les autres États de la République, quand
on parle avec les gens dans la rue, tous ont la même indignation vis-à-vis de cet assassin qui se cramponne au pouvoir au prix de dizaines de morts, et beaucoup ont la conviction que les années de soumission sont terminées, que maintenant le peuple ne se laissera plus tromper et abuser.

Dans le monde, des manifestations et occupations ont eu lieu devant les
ambassades et consultats du Mexique, notamment à Vancouver, Los Angeles,
Boston, Chicago, Lima, Londres, Madrid, Barcelone, Milan et d’autres
villes d’Italie.

La situation actuelle

Le samedi 4, une partie des personnes arrêtées ont été libérées ; toutes
se plaignent de tortures physiques et psychologiques. L’armée occupe la
ville et a même reçu 2 000 effectifs supplémentaires pour assurer son
omniprésence. On dégage progressivement les carcasses de véhicules brûlés, les commerces rouvrent timidement, craignant encore des incursions de tireurs "non identifiés". Radio Universidad est toujours gardée par des barricades, l’état d’alerte se maintient (vendredi matin un groupe d’hommes armés a tiré sur les antennes mais sans les endommager suffisamment pour arrêter les émissions).

Hier, dimanche 5 novembre, des dizaines de milliers d’habitants venant de l’État d’Oaxaca et d’autres États ont formé une gigantesque marche vers la capitale de l’État pour exiger à la fois la destitution du gouverneur et le retrait des forces de police, au cri de "Oaxaca n’est pas une caserne : dehors l’armée !". Il n’y a pas eu de nouveaux affrontements avec la PFP, qui s’est contenté de suivre la caravane et de l’observer. L’APPO demande à nouveau au président Fox d’installer une table de négociation, au plus tard pour ce mardi.

Avancées politiques

Les choses semblent cependant avancer politiquement : la Procudaria
General de la Republica
(la plus haute instance de justice) a ordonné une enquête sur les relations entre le PRI local et les groupes paramilitaires ; un haut fonctionnaire a été envoyé à Oaxaca par le secrétaire de gouvernement Carlos Abascal Carranza (l’équivalent du premier ministre) pour favoriser les négociations et pour rencontrer notamment le recteur de l’université. Le fonctionnaire a assuré à celui-ci qu’"il n’a jamais été dans les objectifs de la PFP ni dans les plans de l’opération d’entrer dans aucun espace appartenant à l’Université. Nous devons assurer la préservation de son autonomie." Le gouvernement a assuré qu’il n’interviendrait pas dans la programmation de Radio Universidad, qui jouit de l’autonomie de l’université. D’autre part, il a fait savoir que c’était au PRI de demander à Ulises Ruiz de se retirer. Les députés et sénateurs ont également exhorté le gouverneur Ruiz "à une réflexion sur sa capacité à gouverner". En fait, le PRI est divisé, une partie de ses membres ne voulant plus soutenir le gouverneur.

Complètement en décalage avec la situation, le Syndicat national des
enseignants (SNTE), dirigé par la priiste Elba Esther Gordillo, reproche
au gouvernement de mener des négociations avec la section 22 qui ne jouit d’aucun statut juridique, au lieu de les mener avec la direction nationale du syndicat.

La double position de l’Église

Comme il est bien connu, en Amérique latine, une partie de l’Église est
très engagée à gauche tandis qu’une autre, et principalement la
hiérarchie, est engagée à droite. On en constate un nouvel exemple avec la confrontation entre le président de la Conférence de l’Episcopat mexicain, qui donna son aval à l’intervention de la PFP, et les nombreux prêtres de l’État qui lui ont demandé d’expliquer ou de rectifier cette position. Dans un communiqué, les prêtres l’interpellent ainsi : "Nous ne doutons pas de la sagesse de nos évêques ni de leur capacité à discerner les signes des temps ; c’est pourquoi nous nous demandons : en réalité, ne pouviez-vous prévoir que ce que cherchait le gouvernement fédéral c’était une bénédiction pour la répression ?" De même, la messe de ce dimanche dans la cathédrale de Mexico a été interrompue par des centaines de personnes pour protester contre le soutien que l’archevêque Norberto Rivera avait déclaré en faveur de l’intervention policière.

Attentats à la bombe dans la ville de Mexico

La nuit dernière, peu après minuit, trois explosions de bombes artisanales ont ébranlé la capitale, la première dans une succursale de banque, la deuxième au tribunal électoral, la troisième au siège du PRI. Des précautions avaient été prises pour qu’il n’y ait pas de victimes : un appel téléphonique avait averti la police du secteur et une pancarte "Danger : bombe" avait même été apposée sur la porte d’une autre banque, où se trouvait une quatrième bombe qui n’a pas explosé. Il n’y a jusqu’à présent aucune revendication, mais l’APPO a déjà communiqué qu’elle n’avait rien à voir avec ça.

Annick Stevens
Sources : "La Jornada", les communiqués de l’APPO et de diverses
associations indigènes.


Post-Scritpum : contrairement à ce que j’ai indiqué, l’assaut policier du 2 novembre contre l’université d’Oaxaca n’a pas fait de morts ; il y a eu en tout 17 morts depuis le début du conflit, dont 3 le 27 et 3 le 29 novembre. Avec toutes mes excuses pour cette mauvaise interprétation des sources. (16 novembre)