À l’occasion du vingtième anniversaire du soulèvement zapatiste du 1er janvier 1994, nous republions ci-dessous l’entretien avec Jérôme Baschet réalisé par Bernard Duterme, directeur du Centre tricontinental (CETRI) basé à Louvain-la-Neuve (Belgique). De larges extraits de cet entretien ont été publiés dans le numéro 23 de dlm, Demain Le Monde qui comprend un dossier sur « Les 20 ans de la rébellion zapatiste » (janvier-février 2014).
Historien médiéviste reconnu internationalement, Jérôme Baschet est sans doute aujourd’hui l’observateur francophone le plus proche de la rébellion des indigènes zapatistes du Sud-Est mexicain. Enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et à l’Université autonome du Chiapas (San Cristóbal de Las Casas) depuis plus de quinze ans, il a consacré au mouvement zapatiste de multiples travaux, dont le remarqué La Rébellion zapatiste : insurrection indienne et résistance planétaire (Flammarion, 2005). En 2013, il a préfacé l’ouvrage Eux et Nous (éditions de l’Escargot) qui publie des textes récents des sous-commandants Marcos et Moisés, porte-parole de la rébellion. Sort de presse en ce mois de janvier 2014, son nouveau livre, largement fondé sur l’inspiration zapatiste, Adieux au capitalisme : autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes (La Découverte).
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Témoignages, entretiens, récits et réflexions...
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« Le goût de la liberté des zapatistes » : entretien avec Jérôme Baschet
4 février 2014 -
Quelques notes sur l’insurrection professorale en cours au Mexique
24 avril 2013Retour sur les réformes libérales que le gouvernment d’Enrique Peña Nieto tente de mettre en place dans le secteur éducatif depuis son intronisation, et sur les résistances que celles-ci ont engendrées depuis lors...
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De passage par San Patricio Mexique-Chiapas-Zona norte
8 février 2012San Patricio, communauté autonome zapatiste. Septembre 2011, les paramilitaires issus des communautés voisines d’Unión Hidalgo, Ostelucum et El Porvenir tentent d’expulser les compañeros zapatistes de leurs terres. Le Conseil de bon gouvernement « Nueva semilla que va a producir » dénonce cette situation et lance un appel à la solidarité. La « Red contra la represión-Chiapas » organise alors, dès le mois d’octobre, des brigades d’observation et de solidarité.
En ce mois de janvier 2012, nous formons avec deux autres mexicains, la 9e brigade à San Patricio.San Patricio, base de soutien zapatiste, est situé sur le territoire de Roberto Barrios, Caracol V “Que habla para todos “ dans la zone Chol. La communauté autonome plantée sur les bords de la rivière Sabanilla, fait partie du MAREZ, La Dignidad. Il s’agit de terres récupérées lors de l’insurrection de 1994. Les zapatistes s’y sont installés en tant que communauté en 1996. Dès sa création, la communauté a subi des agressions de la part des groupes paramilitaires, notamment Paz y Justicia. La résistance pour préserver ces terres récupérées sur la propriété d’un grand éleveur, constitue la mise en application du célèbre cri “Tierra y Libertad” d’Emiliano Zapata. Avoir une terre pour obtenir sa liberté. Ici, la terre n’a pas d’autre vocation que de nourrir ceux qui la travaillent. L’ensemble des parcelles a été distribué pour que chaque famille puisse planter sa milpa. D’autre part, la communauté possède collectivement une quarantaine de têtes de bétail. (...)
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Bien le bonjour d’Oaxaca
2 février 2012Dans un petit texte intitulé "Dans la gueule du requin", j’avais évoqué la
résistance des peuples de l’isthme de Tehuantepec face à la construction
démentielle d’un parc d’éoliennes couvrant toute la région, de La Ventosa
à San Francisco del Mar (plus de cinq mille aérogénérateurs en formation
militaire moulinant l’air de leurs grandes ailes d’acier) et mettant en
péril la relation construite entre les habitants (paysans et pêcheurs) et
leur environnement. En général nous nous arrêtons à la finalité immédiate
de l’investissement capitaliste : la production d’énergie ou l’extraction
de matières premières en vue de la production de marchandises. En fait, il
s’agit de l’investissement de la vie sociale des gens par la pensée
spéculative des marchands capitalistes spéculant sur les échanges
marchands à venir.Au cours de la réunion d’analyse et de réflexion sur l’impact des
entreprises transnationales dans les régions indigènes du Mexique
organisée par le Congrès national indigène à San Mateo del Mar (le 26
novembre 2011) en coordination avec l’Assemblée des peuples de l’isthme de
Tehuantepec et les autorités municipales et agraires, il a été décidé de
mettre en place un Plan d’action pour la défense du territoire.
Rendez-vous fut alors pris pour le vendredi 13 janvier dans les locaux de
Radio Totopo, à Juchitan, pour mettre au point les grandes lignes d’action
à venir tant sur le plan local que sur le plan régional et national, à
brève, moyenne et plus large échéances. (...) -
Au-delà de la dépossession marchande, Récupérer la capacité de décider de nos vies
2 février 2012Cela fait quatre ans que nous avons l’habitude de nous réunir ici, à Cideci-Unitierra, pour nous regarder et nous regarder dans le regard de notre ami et compagnon André Aubry. C’est à lui que nous devons en grande partie cette « coutume » de nous rassembler lorsque l’année approche de sa fin. Il y a quatre ans, décembre fut de grand colloque, convoqué par l’EZLN pour honorer sa mémoire. Il y a trois ans, le Festival mondial de la Digne Rage reprit un calendrier similaire, dans de plus amples proportions. Il y a deux ans, eut lieu le premier Séminaire international de réflexion et analyse à l’occasion de la publication du livre ... planeta tierra : movimientos antisistémicos..., qui rassemblait les interventions du colloque en mémoire d’André. Aujourd’hui, commence le deuxième Séminaire international de réflexion et analyse qui, dans son titre, le même qu’il y a quatre ans, le même qu’il y a deux ans, nous rappelle André et, surtout, rappelle qu’il continue de nous accompagner.
Il me semble qu’il s’agit de continuer à tisser réflexions, luttes, insubordinations, de partager les expériences qui existent déjà et les rêves qui pointent les petits matins encore à enfanter. Et il s’agit de le faire dans le miroir du « ¡Ya basta ! » du 1er janvier 1994 qui, dans quelques heures, arrivera à son dix-huitième anniversaire et dont la célébration nous convoque et nous rassemble. Dix-huit : un chiffre qui signifie que les enfants nés dans les communautés zapatistes au moment du soulèvement accèdent eux aussi à la majorité et aux responsabilités qui leurs reviennent, avec toute la force que leur donne le fait d’avoir grandi dans l’autonomie. (...)
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Narcotrafiquants, mercenaires et militaires au Mexique Chiens de guerre
28 septembre 2011Le massacre du casino Royale, à Monterrey, fin août, a été mis à profit
par le président Felipe Calderón pour renforcer encore plus sa stratégie
de militarisation du pays, stratégie qui a coûté la vie à 50 000 personnes
en moins de cinq ans.Avec une précision militaire, le 25 août dernier, l’après-midi et en
seulement deux minutes et demie, un commando a volontairement incendié le
casino Royale, dans la ville de Monterrey au nord du pays, provocant la
mort de 52 personnes dont une majorité de femmes. Presque immédiatement,
l’image télévisée de cette action de gang, propre à une économie mafieuse
qui utilise la « protection par extorsion » et la violence régulatrice
afin de discipliner les marchés de l’illégalité, a fait le tour du monde.
Quelques heures plus tard, Felipe Calderón décrivait cet événement sur son
compte Twitter, comme « un acte aberrant de terreur et de barbarie ». Le
jour suivant, après une réunion du Cabinet de Sécurité nationale, avec un
discours si bien structuré qu’il paressait avoir été préparé à l’avance,
Calderón affirmait : « Nous ne devons ni confondre, ni nous tromper :
c’était un acte terroriste (...) -
Quelques semaines dans le Sud-Est mexicain
3 septembre 2011Le Mexique apparaît de plus en plus clairement comme un pays en guerre. L’ouverture du pays à l’activité capitaliste avec la signature du traité de libre commerce entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en 1992 s’accompagne d’une guerre de reconquête dans le plus pur style des guerres coloniales d’antan.
Tenter d’appréhender la situation revient à préciser la signification et la place des différentes pièces qui constituent le puzzle mexicain : les projets capitalistes (mines, barrages, infrastructures, monocultures, exploitation des forêts et autres ressources naturelles), les cartels de la drogue, la guerre contre les narcos, la résistance et l’autodéfense des peuples indiens, j’ajouterai le Mouvement pour la paix avec justice et dignité du poète Javier Sicilia et la législation sur la sécurité nationale, plat de résistance du gouvernement Calderón avant la prochaine élection présidentielle en 2012. Tous ces éléments sont liés entre eux et offrent un certain éclairage sur l’actualité. (...)
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Cherán, autodéfense indigène
14 août 2011Depuis Uruapan (État du Michoacán), la route de Zamora traverse les vastes étendues verdoyantes (le maïs est déjà haut) du plateau p’urépecha, d’où émergent de nombreux volcans assoupis, couverts de forêts touffues. Après une quarantaine de kilomètres, on passe Paracho, renommée pour ses guitares
(les P’urépecha travaillent le bois et sont d’excellents musiciens). Une quinzaine de kilomètres encore et l’on arrive à Cherán.Pour entrer dans la communauté (un gros bourg de vingt mille habitants, aux rues naguère pavées, et où la modernisation a laissé tomber la plupart des superbes trojes, ces robustes maisons de pin, aux toits de tejamanil), il faut montrer patte blanche. Dire qui l’on est, et ce que l’on vient faire à Cherán. Tous les accès sont barrés par d’énormes pierres, des troncs d’arbres, des pneumatiques et des barrières levantes, et gardés jour et nuit par des hommes et des femmes masqués de passe-montagne ou de paliacate. (...)
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Dans la gueule du requin
9 août 2011C’est une petite île dans la lagune de l’isthme de Tehuantepec, sur la côte pacifique au sud du Mexique. Cette petite île avec son cordon ombilical, la barre de Tileme (se prononce tilémé), qui la relie en saison sèche à la terre ferme du côté d’Alvaro Obregón, partage la lagune en deux parties, la lagune supérieure et la lagune inférieure. La lagune inférieure communique par une passe étroite avec l’océan. D’un côté de cette passe se trouve San Francisco del Mar, de l’autre Santa Maria, à la pointe d’une bande de terre étroite qui sépare la lagune du Pacifique, sur cette bande de terre ferme se trouvent d’autres zones de peuplement comme San Mateo del Mar.
Toute cette partie de l’Isthme en direction de l’océan Pacifique est habitée par les Ikoots (ou Huaves), peuple sans doute venu du lointain Pérou via l’Amérique centrale dans des temps immémoriaux. Le peuple ikoot, qui se consacre principalement à la pêche dans la lagune et parfois dans le Pacifique à l’aide de cerfs-volants , entretient des relations de voisinage étroites, et parfois problématiques , avec son voisin immédiat, le peuple binnizá (ou zapotèque). Mais revenons à notre petite île. (...)
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Cinquante millions contre les Triquis de Copala
8 août 2011Ils s’appelaient José Luis Ramírez Hernandez, Francisco Ramírez Merino et Alvaro Jacinto Cruz. Dimanche 7 août, sur le zocalo de la ville d’Oaxaca, des dizaines de touristes longent, indifférents, leurs trois cercueils alignés devant l’entrée du palais du gouverneur. Tout autour, portant leurs longues tuniques comme autant de taches de sang, les femmes triquis veillent leurs hommes. Une poignée d’hommes et femmes de la ville, militants de groupes locaux et de l’Autre Campagne, les accompagnent. Pancartes, tracts, prises de parole. Derrière chacun des cercueils, la veuve ou l’un des orphelins se tient, digne, silencieux. Mais le désespoir se lit sur les visages.
Vendredi soir, les assassins attendaient José Luis, Francisco et Alvaro, originaires de la communauté d’Agua Fría et membres du Municipio Autónomo de San Juan Copala. Ils les ont froidement abattus, d’une balle dans la tête. (...)