Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Communiqué 30 ans : Cinquième partie

« Attention au coup, jeune homme »

vendredi 5 janvier 2024, par liuvan


P.S. QUI PRÉVIENT. – On était sur le point de vous raconter de quoi il en retourne avec toute cette histoire, mais en lisant, en voyant et en écoutant le ramassis d’idioties que disent et écrivent les « spécialistes » en tout et connaisseurs en rien (au sujet de supposés replis, démantèlements, avancées du crime organisé et « retours au passé » – il fallait bien que la plupart soient des coletos [ndt : familles métisses aisées vivant depuis plusieurs générations à San Cristóbal de las Casas]), eh bien on a finalement décidé qu’il valait mieux les laisser continuer à éructer.
Grâce à leurs profondes analyses et à leurs bien-fondées investigations, les « zapatologues » concluent : « Une preuve de la déroute zapatiste, c’est la perte de l’identité indigène : les jeunes hommes indigènes portent maintenant des santiags au lieu de marcher pieds nus ou en huaraches [ndt : sandales en cuir]. Et ils s’habillent pour aller draguer, pantalon et chemise neuves – ou repassés ! –, au lieu de mettre leur traditionnel pagne en laine et d’acheter leur femme selon les us et coutumes indigènes. Et ils roulent en moto, au lieu de porter sur leurs épaules leurs patronnes « coletas ». Il ne manquerait plus que les jeunes filles indigènes mettent des pantalons ou (horreur !) qu’elles jouent au foot et qu’elles conduisent des véhicules au lieu de servir les dames « coletas ». Et aussi qu’elles osent danser la cumbia et le ska au lieu du Bolonchon [ndt : musique, chant et danse traditionnels tzotzils de San Juan Chamula], et chanter du rap et du hip-hop au lieu des psaumes et des odes aux propriétaires terriens. Et, autre signe de la perte de leur identité indigène, qu’on en arrive jusqu’au point absurde qu’ils et elles soient sous-commandants, commandants et commandantes ! Et qu’ils se gouvernent eux-mêmes. Et qu’ils ne demandent pas l’autorisation d’être qui ils veulent être. Et qu’ils voyagent et connaissent d’autres terres. Et qu’ils travaillent et gagnent leur salaire sans « tienda de raya » [ndt : magasin associé aux grandes propriétés terriennes où les péons devaient s’approvisionner, dans un circuit de totale dépendance au patron]. Et qu’on ne les maintienne plus dans des camps de concentrations comme à Gaza, pour qu’ils ne choppent pas des idées « sinaloenses » c’est-à-dire étrangères – parce que les mayo-yoreme du Sinaloa, ça va hein, que des chansons de narcos. À cause du zapatisme, nous les anthropologues, nous n’aurons plus de travail. Quel dommage. Et tout ça pour ne pas suivre l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat ou MORENA, ce qui est la même chose. Grave erreur du zapatisme que celle de ne pas nous obéir. Car maintenant les indigènes ne baissent plus les yeux quand on les croise. Ils te regardent comme avec irrévérence, avec défi, avec rage, comme si c’était nous les intrus et pas eux, comme si c’était nous les criminels et pas eux. Avant, il y avait que les zapatistes qui faisaient ça, et maintenant, n’importe lequel de ces petits chamulas te tient tête. Et, comme dit le marxisme-léninisme-stalinisme-maoïsme-trotskisme-tous-les-ismes, n’importe quel indigène ne correspondant pas au manuel d’anthropologie, c’est un narco. »
On est sûrs que, après, quand on aura dévoilé le sens de cette étape, ils feront preuve d’un minimum d’honnêteté pour dire et publier : « Nous n’avons pas la moindre idée de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils font, ni de ce qu’ils feront. Le mieux, ça aurait été de demander aux zapatistes, et pas aux antizapatistes. » À moins qu’ils ne soient pas honnêtes ?
Dites-leur à ces « journalistes » que c’est toujours mieux, même si c’est moins confortable et moins rentable, d’interviewer les acteurs, plutôt que les spectateurs, les experts de canapé et les paramilitaires fainéants. Le journalisme d’investigation est un travail professionnel qui occasionne, souvent, risques et désagréments. Mais, ne vous inquiétez pas, on comprend bien que chacun gagne sa croûte comme il peut.
Donc, en guise de salut pour les « zapatologues », continuons avec ces P.S. écrits avec beaucoup de tendresse :
P.S. DE LA CAPITAINERIE DU PORT DE MONTAGNE. – On avait sous le coude une série de mots d’esprit pour nous moquer de la classe politique dans son ensemble (les dirigeants et l’opposition), mais on pense maintenant que ça ne vaut plus le coup, chaque troupeau a déjà son berger ou chaque berger son troupeau. Ou quelqu’un croit-il naïvement que c’est un problème entre deux bergères ?
Notre silence de ces dernières années n’a été, ni n’est un signe de respect ni un aval de rien du tout, c’est simplement qu’on s’efforce de voir plus loin et de chercher ce que tous, toutes, tous.tes cherchent : une sortie du cauchemar. Quand vous saurez, par les prochains écrits, ce qu’on était en train de faire, vous comprendrez peut-être que notre attention s’est portée sur un autre point.
Mais nous comprenons que plus d’un souffre de ce que nous les zapatistes, nous appelons le « torticolis théorique » qui se produit quand on regarde trop vers le haut et qui affecte le bon jugement, le sens commun, la décence et l’honnêteté – de plus, c’est addictif et ça crée une dépendance chronique. Nous comprenons les limites dans leurs horizons d’analyses. Le bureau, l’académie, la colonne journalistique, le bulletin de presse, le poste gouvernemental, les ragots de café révolutionnaire ou les réseaux sociaux, c’est une chose, et la réalité en est une autre.
Cette dernière non seulement ne paye pas, mais en plus elle te le fait payer cher et même très cher. Shakira l’a déjà dit : la réalité facture, et elle n’inclut pas la TVA. Tant pis.
Nous ne ferons pas du bois de chauffe des arbres tombés là-bas en haut. La réalité, cette entêtée implacable, fera les choses et les dernières échardes seront celles qu’extraira le crime organisé de la taxe pour droit d’usage entre les propositions des uns et des autres.
Certains se masturbent avec le bulletin présidentiel du matin. D’autres avec la destruction, les morts, les assassinats, les viols, les disparitions, la faim, la guerre, les maladies, la douleur et le chagrin. Aucun n’a de proposition politique viable et sérieuse, ils ne font que divertir… jusqu’à ce que ça ne tienne plus.
Mais puisqu’on parle d’autoérotisme : quitte à choisir entre Bertha et Claudia, eh bien Wendy.

-*-

Bien. Santé. Et maintenant qu’est-ce que je vais faire de mon costume de danse pour corridos tumbados ? « Compa, qu’est-ce que t’en dis de cette casquette ? »… Quoi ? C’est pas comme ça ? Je vous ai pas dit ? C’est la perte de l’identité indigène. Espérons que les anthropologues arrivent bientôt pour nous sauver.
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain,

Le Capitaine.
(hyper beau avec son chapeau de cow-boy. Et advienne que pourra de chacun avec sa chacune. Ajúa raza !)
Mexique, 40, 30, 20, 10 ans après


Voir en ligne : Communiqué original en espagnol


P.S. « CONTEXTUEL ». – Televisa fait du Televisa et les anthropologues font les anthropologues : https://www.nmas.com.mx/noticieros/programas/en-punto/videos/ezln-cierra-caracoles-avance-crimen-organizado/