Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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Vers une transformation radicale de l’Oaxaca ?

Rubén Valencia Núñez

mercredi 7 février 2007

La lutte pour la réforme de notre État : Vers une transformation radicale de l’Oaxaca ?

Ciudad Ixtepec, État d’Oaxaca.

La crise sociale dans l’Oaxaca et le besoin impérieux d’opérer de profonds
changements dans la société de cet État sont devenus plus qu’évidents.
Notre mouvement de résistance passe actuellement par une étape de
réflexion dont l’objet principal est de déterminer les changements que
nous voulons et la manière dont nous voulons le faire. Nous devons nous
poser les questions qui nous aiderons à poser les bases nouvelles de nos
actions et faire en sorte que participent à ce processus ceux qui ont
toujours été exclus par le système, système que nous voulons réinventer.

La société est actuellement polarisée : la quasi-totalité de la classe
politique est alliée aux classes aisées, tandis qu’une partie des classes
moyennes est avec le peuple et les organisations populaires. Dans le feu
de notre mouvement, différentes propositions de transformation de l’Oaxaca
ont vu le jour. Certaines semblent aller dans le même sens, ne se
distinguant que par la stratégie et par la méthode de représentation
qu’elles préconisent pour atteindre leurs objectifs. D’autres se limitent
au contraire à exposer certaines priorités et problèmes de fond, dans le
seul but de calmer le peuple et de freiner l’ardeur insurrectionnelle et
l’esprit de désobéissance civile qui l’animent, dans la conscience
grandissante de l’immense tâche à accomplir.

Le texte qui suit se propose de décrire brièvement certaines des
initiatives prises par la société dans les derniers mois et d’examiner les
positions respectivement adoptées par les autorités fédérales et par
l’APPO.

L’été dernier, des autorités municipales et agraires, plusieurs organismes
civils, la Section XXII du syndicat des enseignants et l’APPO ont appelé à
un forum national sous le thème "Construire la démocratie et la
gouvernabilité dans l’Oaxaca". Il a effectivement eu lieu les 16 et 17
août 2006, rassemblant 1 500 personnes venues de toutes les régions de cet
État. L’objectif principal qu’il s’était fixé consistait à examiner la
crise actuelle, proposer une issue alternative et répondre aux problèmes
qui se posent dans une perspective politique et citoyenne.

La publication des résultats et des accords pris dans ce forum permet de
dégager trois objectifs principaux : encourager la formation d’une
assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution pour
l’Oaxaca, élaborer un programme politique unitaire et promouvoir des
politiques non discriminatoires respectueuses de la diversité dans
l’Oaxaca.

À propos de la position adoptée par certains représentants indigènes et
par certains intellectuels en ce qui concerne le "Pacte de gouvernabilité"
proposé par le SEGOB (Secretaria de Gobernación : le ministère de
l’Intérieur mexicain) : début octobre 2006, le ministère de l’Intérieur
avait invité une centaine de personnes, dont Ulises Ruiz Ortiz et ses
mandataires, mais surtout différentes factions politiques, à une réunion
devant avoir lieu le 4 octobre au siège de ce ministère afin d’analyser la
situation dans l’Oaxaca et de conclure un "Pacte pour la gouvernabilité,
la paix et le développement de l’Oaxaca". Seules cinq personnes de la
Section XXII et de l’APPO ayant été invitées, ces deux organisations ont
décidé de ne pas y participer. Parmi les autres personnes invitées se
trouvaient trois dirigeants indigènes et plusieurs intellectuels et
artistes, qui décidèrent, après mûre réflexion, d’assister à cette réunion
dans l’intention explicite de la boycotter et de dénoncer publiquement son
absence totale de légitimité. Avant d’abandonner la salle en signe de
protestation, ils définirent ensemble leurs positions, dès le début de
cette réunion, en donnant lecture du manifeste suivant :

POUR UN DIALOGUE VÉRITABLE ET AUTHENTIQUE DANS L’OAXACA

    "Nous avons accepté de participer à cette réunion, à laquelle nous avons été invités à la dernière minute et sans disposer des informations suffisantes quant à ses objectifs, ses contenus et ses participants, car nous sommes convaincus que c’est uniquement au travers du dialogue, et non par l’emploi de la force, que la paix, la justice et la démocratie pourront exister dans l’Oaxaca.

    "Cependant, en l’absence de la Section XXII du Syndicat national des
    travailleurs de l’enseignement et de l’Assemblée populaire des peuples de
    l’Oaxaca, deux acteurs indispensables à un tel dialogue, nous nous voyons
    forcés de nous retirer, non sans exprimer auparavant notre position :

    "1. Nous pensons que la société de l’Oaxaca n’est pas représentée dans
    cette réunion, ni suffisamment ni de manière adéquate. En outre, Le
    procédé employé pour formuler l’invitation à cette rencontre ainsi que les
    propres termes de cette invitation nous semblent inappropriés ;

    "2. Aucun pacte de gouvernement ni aucun pacte de gouvernabilité ne sera
    possible tant que celui qui se prétend gouverneur de l’État de l’Oaxaca
    continuera formellement d’occuper ses fonctions. En ce sens, nous unissons
    nos voix à celles de la société de l’Oaxaca qui exige la dissolution des
    pouvoirs, selon les termes établis par la Constitution fédérale et la
    procédure réglementaire en vigueur ;

    "3. D’autre part, nous tenons à déclarer que les questions qui intéressent
    la plus grande partie de la population de notre État ne sont pas inscrites
    à l’ordre du jour prévu pour cette réunion. Nous souhaitons également
    relever la plus grave de ces omissions, qui à notre sens illustre
    parfaitement le caractère de cette réunion : il n’y est fait aucune
    mention de la question indigène, alors que les peuples indiens constituent
    la population de l’Oaxaca de loin la plus nombreuse et que ses difficultés
    exigent la priorité la plus absolue ;

    "4. Il y a longtemps que de nombreux citoyens, groupes et secteurs de
    l’Oaxaca ont examiné et proposé les questions à aborder en vue d’établir
    un calendrier d’actions absolument nécessaires pour instaurer la
    démocratie dans l’Oaxaca. Rien de cela n’apparaît ni ne semble pris en
    compte à l’heure d’aborder, par ailleurs sans aucun ordre ni distinction,
    toutes sortes d’aspects concernant les intérêts et les perspectives de nos
    concitoyens ;

    "Nous sommes favorables à la conclusion d’un pacte pour la démocratie, la
    paix et la justice afin que tous les secteurs et tous les peuples de
    l’Oaxaca puissent contribuer à la réalisation d’une réforme en profondeur
    de cet État.

    "Nous réaffirmons notre engagement envers l’établissement d’un dialogue.
    Toutes les parties ici présentes doivent œuvrer à donner une issue
    politique à l’actuelle crise de l’Oaxaca et s’opposer activement à
    l’emploi de la force.

    "Il est impossible de signer quelque pacte que ce soit ici, mais il est
    cependant possible de formaliser les bases nécessaires à l’établissement
    d’un authentique dialogue de l’ensemble des secteurs et peuples de
    l’Oaxaca dans un esprit participatif et non discriminatoire."

Après avoir lu ce document, les représentants indigènes et les
intellectuels mentionnés se retirèrent du forum et communiquèrent aux
médias leur position.

Du coup, ledit forum perdit toute crédibilité et toute légitimité. Le
ministère de l’Intérieur n’a pu sortir de son chapeau aucun "pacte" pour
une quelconque gouvernabilité, dont les termes manifestaient de toute
façon la précipitation, l’improvisation et un évident manque de sérieux.

Le groupe qui avait répudié de la sorte la réunion appelée par le SEGOB
décida d’impulser dans l’Oaxaca un dialogue ouvert à tous les secteurs de
la société afin d’envisager tous les changements que l’on jugerait
nécessaires, continuant ainsi ce qui avait été commencé avec le forum
national des 16 et 17 août.

Après plusieurs réunions préparatoires auxquelles participaient les
représentants d’organisations de la société civile et d’organisations
indigènes, l’Église catholique, des chefs d’entreprise, des artistes et
des professeurs, ainsi que des délégués de la Section XXII et de l’APPO,
un appel à une "Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la
démocratie et la justice" était lancé, le 9 octobre.

Initiative citoyenne de dialogue pour la paix, la démocratie et la justice
dans l’Oaxaca.
Le 12 octobre, dans la galerie du couvent de Santo Domingo, deux mille
personnes assistant au lancement cette initiative ont débattu et approuvé
la Déclaration de Santo Domingo, qui établit la position des participants
et énonce certaines de ses dispositions. La Déclaration examine
l’importance, le contexte, le diagnostic et les objectifs du dialogue
envisagé et présente les premiers accords issus des six groupes de travail
constitués ce même jour :

Groupe 1 : Nouvelle démocratie et gouvernabilité (la crise politique)

Groupe 2 : Économie sociale et solidaire (la crise économique)

Groupe 3 : Vers une nouvelle éducation (la crise de l’éducation)

Groupe 4 : Harmonie, justice et équité sociale (la crise sociale)

Groupe 5 : Patrimoine historique, culturel et naturel de l’Oaxaca

Groupe 6 : Moyens de communication au service des peuples

D’autre part, trois forums de réflexion ont été annoncés : un Forum
indigène et paysan (afin d’examiner les questions indigènes, agraires et
paysannes, ainsi que la question du maïs, de l’eau et de l’émigration), un
Forum d’équité de genre et un Forum concernant les droits humains.

Cette initiative veut promouvoir au sein de la société de l’Oaxaca un
dialogue dans lequel seront représentés tous les secteurs qui la
constituent, pour pouvoir définir ensemble, à travers des accords et des
consensus, les comportements sociaux et les réformes juridiques et
institutionnelles qui permettront d’opérer la transformation profonde que
les Oaxaquiens et les Oaxaquiennes appellent de leurs vœux.

Dès le jour de son lancement, dans chacune de ses manifestations et
activités, l’Initiative a réclamé la destitution d’Ulises Ruiz Ortiz comme
condition préalable indispensable aux changements jugés nécessaires.

Bien que les activités de l’Initiative se soient vues entravées par
l’entrée des forces de police fédérales et par la vague de terrorisme
d’État déclenchée à partir du 28 octobre, et en particulier après le 25
novembre, les réunions des groupes de travail se sont poursuivies. Sans
oublier de réfléchir à la situation, les participants ont présenté des
propositions et des projets qui émanent le plus souvent de longues
analyses et d’actions visant au changement.

Aux travaux de réflexion de ces groupes sont venues s’ajouter les
activités suivantes :

1. Forum d’analyse des mesures de détente en vue de la paix et de la
réconciliation dans l’Oaxaca.

Organisé le 6 novembre à la bibliothèque de l’ancien couvent de Santo
Domingo, ce forum réunissant une grande diversité de participants a servi
à présenter un rapport détaillé de la situation des prisonniers et des
personnes arrêtées ainsi qu’une liste des disparus lors du conflit,
accompagné d’une réflexion sur les mesures de détente et de propositions
concrètes à ce sujet.

2. Forum des peuples indigènes de l’Oaxaca.

Organisé les 28 et 29 novembre, il a pu rassembler près de 500 personnes,
dont des autorités communautaires et municipales indigènes, des
représentants d’organisations communautaires et des organismes de la
société civile. Quatorze des seize peuples indigènes de l’Oaxaca y étaient
représentés.

Les participants à ce forum ont montré comment, alors que l’Oaxaca est une
société pluriethnique et multiraciale où vivent seize peuples indigènes,
paradoxalement la construction et l’exercice de l’autonomie et de
l’autogouvernement de ces peuples sont sujets à une agression constante.
Ils ont appelé la société à lancer des initiatives et des propositions de
convivialité, à s’organiser et à effectuer des mobilisations et un
dialogue dans ce sens, dans tous les domaines de l’existence, du travail
et de la lutte des peuples indigènes. Ils appelèrent aussi à renforcer le
processus d’organisation et d’action de l’APPO, notamment en stimulant
cette nouvelle attitude au sein de tous les mouvements et de toutes les
organisations, pariant sur le fait que c’est ce qui permettra de tout
pouvoir articuler, de pouvoir transformer en partant de nous-mêmes, de
pouvoir construire d’en bas. Enfin, ils se sont réaffirmés dans leur
conviction et dans leur engagement quant à la construction d’un mouvement
pacifique qui tienne compte des raisons profondes du conflit vécu
aujourd’hui dans l’Oaxaca et qui pose les bases d’un nouveau pacte social
et d’un nouveau cadre juridique qui rende possible la justice, la paix et
la démocratie pour toutes et pour tous.

3. La société civile face à la réforme de l’Oaxaca

Le 18 décembre, des membres de "l’Initiative citoyenne..." ont présenté
publiquement leur appel aux peuples de l’Oaxaca en vue de conclure des
accords minimaux pour une véritable réforme de cet État qui devra émaner
de méthodes de consultation réellement démocratiques telles que sondages
d’opinion, ateliers de réflexion régionaux, forums au niveau de l’Oaxaca,
consultations publiques et autres mécanismes.

Les membres de l’Initiative en ont profité pour déclarer publiquement leur
refus pur et simple d’une rencontre autour d’un projet de réforme de
l’Oaxaca annoncée par le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz. Selon les
membres de cette plate-forme, y participer "reviendrait à légitimer une
nouvelle parodie, une véritable réforme démocratique ne pouvant émaner que
des citoyens et non être décrétée par l’administration, la première visée
par une telle réforme". Ils ont également signalé que "toutes les réformes
de l’État réalisées au Mexique ont résulté d’une pression sociale et de
mobilisations populaires, jamais de commissions officielles", et qu’il est
d’autant moins possible de promouvoir une réforme de l’État quand on
prétend le faire à travers "une simple opération de chirurgie esthétique
effectuée précisément par celui qui a provoqué la profonde crise sociale
actuelle et manque de crédibilité et de toute légitimité". Pour conclure,
ils ont manifesté que "l’actuelle administration de l’Oaxaca ne peut pas
prétendre au dialogue alors qu’elle continue de persécuter, de gruger et
de réprimer le peuple de l’Oaxaca". Inversement, une réforme de cet État
émanant de la base (sociale) est à même de "nous doter du cadre juridique
et politique approprié en vue d’instituer une assemblée constituante
plurielle et pleinement représentative qui permette d’élaborer une
nouvelle constitution".

Le document présenté en cette occasion par l’Initiative cherche à dégager
des accords minimaux concernant une réforme de l’État en se fondant sur
les consensus atteints précédemment en matière de pluralité juridique,
d’état de droit, de division des pouvoirs, de justice et de sécurité
publique, de transparence, de participation citoyenne, d’équité de genre,
de mécanismes électoraux, de communication, de patrimoine et de justice
sociale.

La proposition du tyran

Le "dégouverneur" Ulises Ruiz Ortiz a lancé un appel à la "réconciliation"
et prétend "encourager la recherche d’une résolution aux problèmes
structurels, bouillons de culture de la pauvreté, de la marginalisation et
de l’injustice, afin d’avoir un nouvel Oaxaca, ordonné et muni de
nouvelles institutions à même d’affronter les défis qui se présentent
aujourd’hui à nous".

Il affirme que pour que l’Oaxaca soit un État prospère et démocratique où
prévaut l’équité, il faut lancer un appel aux Oaxaquiens de toutes les
couches sociales et de toutes les tendances et il propose d’ouvrir les
espaces nécessaires à la discussion et à la participation des citoyens,
afin d’élaborer ensemble une nouvelle constitution de l’Oaxaca.

Il admet qu’il est indispensable de changer en profondeur de méthode,
d’opérer des changements sur le fond, non pas dans la structure
hiérarchique du pouvoir mais par la participation citoyenne que réclame la
société.

Ulises Ruiz Ortiz est secondé au sein de la Commission spéciale pour une
réforme de l’État de l’Oaxaca par Hector Sánchez, administrateur et
secrétaire technique de cette commission et l’un de fondateurs de la
"Coalition ouvrière, paysanne et étudiante de l’Isthme" d’antan, la COCEI,
légendaire organisation de gauche qui jouissait d’une grande sympathie au
Mexique dans les années 1970 à cause de la lutte qu’elle menait dans
l’isthme d’Oaxaca. Aujourd’hui, elle est notoirement connue pour ses
liaisons avec le gouvernement et à cause de sa sinistre habitude d’acheter
les mouvements sociaux. En effet, cette organisation se consacre à sucrer
les organisations sociales pour négocier avec elles une par une et
affaiblir ainsi la lutte pour l’indispensable grande transformation.
Signalons qu’elle s’est constituée en parti politique en créant le Parti
de la révolution démocratique, le PRD, dans l’Oaxaca. Ce n’est pas sans
importance, car aujourd’hui comme hier certains secteurs qui ne voient pas
au-delà d’une lutte pour des réformes, simples carottes que le système
promet sans jamais les réaliser, tirent de là leurs seuls arguments, ne
concevant la lutte qu’au travers des partis, le regard rivé sur l’en haut.

Hector Sánchez est un métis nanti dépourvu de toute autorité morale et
légitimité, inapte à conduire quelque processus de mutation sociale que ce
soit dans l’Oaxaca. La nomination de ce triste sire nous permet
d’apprécier à leur juste valeur les véritables intérêts de cette
"consultation", simple manœuvre pour tenter de manipuler la société et
contrôler les deniers publics : le changement dans la continuité, en
somme.

Le jour de sa prise de fonctions, il a eu le culot de déclarer que "les
défis auxquels doit faire face l’Oaxaca sont gigantesques, la réforme de
notre l’État devant envisager des changements sur le fond et faire
participer tous les Oaxaquiens qui souhaitent construire un État développé
où règne la démocratie". Se réfère-t-il aux soi-disant Oaxaquiens
"authentiques" ? À ceux qui ont monté Radio Ciudadana ("Radio citoyenne"),
radio qui a polarisé la société ? Ou parle-t-il des privilégiés de tous
temps ? Quoi qu’il en soit, il ne s’est pas privé d’ajouter que "la
société oaxaquienne vit aujourd’hui un conflit qui n’est pas encore
totalement apaisé, il est encore trop tôt pour affirmer que les blessures
se sont refermées et qu’il ne s’est rien passé, la clameur populaire exige
encore un changement, de nombreuses voix demandent à être écoutées, les
plaintes et le mécontentement se font entendre ; ce sont les carences et
les injustices, le fait de désespérer pouvoir les surmonter, qui ont
provoqué cet état de crispation que nous avons connu récemment". Il suffit
de savoir d’où sort cet individu pour nous rendre compte de quel côté il
lorgne : du côté de la démobilisation, du mensonge et de la trahison.

Sa nomination et cette farce n’ont d’autre but que celui d’aggraver la
crise que connaît cet État et de continuer à diviser, à polariser le
peuple de l’Oaxaca.

Les propositions des nouveaux fonctionnaires du SEGOB et du gouvernement
fédéral.

Le ministère de l’Intérieur a limité le nombre et la qualité des
participants à une table de négociation où était représentée l’APPO,
tandis que la répression continue. Lors d’une réunion récente, il a remis
à l’APPO son "Pacte pour la gouvernabilité, la paix et le développement de
l’État de l’Oaxaca", document que le ministre Abascal avait déjà tenté de
faire passer le 3 octobre. Il s’agit de propositions sans fondements qui
illustrent une vague intention d’encourager des réformes légales et
institutionnelles, l’ensemble restant très vague. On y devine que le
ministère sait pertinemment qu’il existe de très graves problèmes
politiques et sociaux dans l’Oaxaca et que les revendications des peuples
de cet État sont légitimes, mais il montre que cet organe a été et reste
incapable de formuler le diagnostic exact de la situation et encore moins
de prendre les mesures nécessaires pour affronter cette crise et la
surmonter.

Il juge nécessaire de se réunir pour parvenir à élaborer un grand pacte
pour l’Oaxaca. Ses membres disent qu’ils s’engagent à contribuer à un
effort conjoint pour que la population indigène et métisse de toutes les
communautés bénéficient réellement d’un système d’éducation et de santé,
de logements dignes, d’emplois bien payés et des autres services publics
dont ils ont été privés jusqu’ici.

Ils affirment avoir établi le diagnostic de la situation politique,
économique et sociale de l’Oaxaca et que ce diagnostic leur permettra de
parvenir, dans le cadre des institutions, non seulement à normaliser les
activités de la population, mais aussi à promouvoir une nouvelle forme de
convivialité.

Ce document mentionne également le fait qu’ils ont notamment pris
conscience de l’importance d’une démocratisation effective par le biais
d’une réforme de l’État, qui permette, associée à des mesures de détente à
court terme, de rétablir des conditions propres au développement de la
société oaxaquienne. Ils proposent en outre qu’un tel pacte rompe avec
l’opposition classique démocratie parlementaire-démocratie directe,
prônant un modèle de "démocratie participative".

Leur pacte viserait donc cinq objectifs distincts :

- Un nouvel équilibre des pouvoirs : une meilleure coordination entre le
pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et la Justice ;
- La participation de la société aux décisions du gouvernement ;
- La reconnaissance de la diversité sociale dans l’Oaxaca ;
- Une économie propice au développement ;
- Un État providence pour éliminer la pauvreté, la marginalisation et l’abandon social dans l’Oaxaca.

Pour résumer, ce pacte social pour l’Oaxaca s’articulerait autour de trois
axes - démocratie participative, bien-être social et modernisation de
l’exercice du gouvernement -, ses propositions en vue d’une réforme
complète s’inscrivant dans la dynamique "RÉFORME - DÉTENTE -
DÉVELOPPEMENT".

La position actuelle de l’APPO

L’affrontement direct de certains secteurs de l’APPO et des barricadiers
avec la PFP, le 25 novembre 2006, affrontement auquel participaient des
nervis infiltrés incitant à une violence par ailleurs magnifiée et
déformée par les médias, a donné une image négative de ce mouvement.
L’APPO semble donc être tombée dans le piège tendu pour justifier face à
l’opinion publique le déclenchement d’une répression décidée
antérieurement. La réponse que l’APPO a donnée au terrorisme d’État a été
de faire le "tlacuache" [1]. En dépit de la peur et de la paralysie qui
s’étaient emparées de beaucoup de gens, l’APPO a donc fait le mort pendant
quelques jours. Quand le gouvernement a cru que le mouvement avait été
écrasé, elle a appelé à la marche du 1er décembre, qui est parvenue à
rassembler 5 000 personnes. Certes, c’est un nombre insignifiant en
comparaison avec les immenses cortèges des manifestations précédentes,
mais c’est un nombre très élevé étant donné la persécution dont étaient
victimes les habitants. Le Tlacuache avait remué une patte. Il s’est
relevé complètement le 10 décembre, le mouvement se réorganisant, ce qui a
permis au Tlacuache de regagner les montagnes pour y réfléchir, y opérer
sa mue et réapparaître sous différents visages, qui caractérisent la
substance de l’APPO. Le repli devant la répression lui a permis de se
régénérer, de reprendre l’expérience et le travail en cours dans les
villages, les communautés et les quartiers, tout en protégeant ses
activités par l’ouverture d’un dialogue avec les institutions, dialogue
conçu comme un moyen mais non une fin.

La Loi indigène proposée dans l’Oaxaca manifeste la faiblesse d’un
processus reposant exclusivement sur des organismes civils qui, en
contribuant à améliorer les lois (le regard fixé vers le haut), oublient
la construction et la consolidation d’organisations des peuples à qui
pourraient bénéficier de telles lois. Si l’on obtient de bonnes lois,
comme un plébiscite pour déposer des autorités, par exemple, mais que les
peuples ne sont pas organisés, les mêmes lois pourraient être utilisées
par des caciques et se retourner contre les rares autorités honnêtes. Ce
que nous voulons dire, c’est que la lutte ne s’achève pas en obtenant des
réformes appropriées, mais avec l’engagement quotidien des peuples pour
qu’une telle transformation soit effective.

C’est pourquoi l’APPO appelle à la formation de groupes de réflexion au
niveau local et régional pour être en mesure de connaître et de formuler
les changements que le peuple de l’Oaxaca veut voir réalisés et dans
lesquels il a déposé ses espoirs. L’heure est à la parole et à l’écoute
pour que s’exprime la population. Un premier pas dans cette direction est
la Première Assemblée régionale de l’APPO qui aura lieu les 27 et 28
janvier 2007 à Ciudad Ixtepec et à laquelle sont invités à participer
l’APPO ainsi que les organisations et les secteurs de la région, pour
examiner ensemble plusieurs questions, dont l’économie, l’éducation, la
culture, l’environnement, la santé, la démocratie, le territoire et la
communication.

La réflexion engagée sur ces questions est une manière d’encourager un
dialogue qui permette de construire une nouvelle société de paix, de
justice et de liberté pour la vie bonne et digne rêvée par tous et par
toutes.

Actuellement, on étudie les conditions minimales pour qu’un tel dialogue
au sein de la société puisse se faire. L’Intérieur a autorisé ces groupes
de réflexion à la condition expresse qu’on y aborde exclusivement la
réforme de l’État et non la libération des prisonniers politiques ni la
destitution d’Ulises Ruiz Ortiz, qui "est en cours", s’imaginant que la
question sociale dans l’Oaxaca s’est diluée après les mesures de
répression entamées le 25 novembre. De son côté, l’APPO ne renoncera à
exiger ni le départ d’Ulises Ruiz, ni à ce qu’il soit châtié pour les
crimes commis conte le peuple de l’Oaxaca, ni la libération immédiate et
inconditionnelle de tous les prisonniers politiques et la présentation des
disparus, sans compter l’annulation immédiate de tous les mandats d’arrêt
visant les militants de la lutte sociale. Aucune réforme de cet État et
aucun changement radical ne pourront s’effectuer tant qu’Ulises Ruiz Ortiz
sera gouverneur.

Il est essentiel de continuer à réactiver le mouvement par toutes sortes
de mobilisations et de manifestations publiques de solidarité, mais aussi
et surtout d’encourager la réflexion et l’élaboration de propositions
concrètes envisagées par l’APPO. Cela doit s’accompagner des groupes de
réflexion impulsés par l’Initiative citoyenne, pour que nous puissions
tous et toutes réussir à transformer radicalement l’Oaxaca mais aussi à
nous transformer, nous.

Un tel éventail de propositions fait automatiquement surgir plusieurs
questions. Peut-on lutter pour des réformes légales et institutionnelles
dans l’Oaxaca et simultanément s’organiser en bas pour une transformation
réelle de la société ? Devons-nous nous épuiser dans un dialogue avec des
institutions qui ont toutes les chances de ne pas tenir leurs éventuels
engagements et abandonner la construction de notre autonomie ? N’oublions
pas que le gouvernement de Zedillo avait effectivement signé les Accords
de San Andrés, ce qui ne l’a pas empêché de ne pas les respecter ou de les
appliquer, de même que la loi de l’OIT qui envisage le droit des peuples à
l’autodétermination dans les faits n’est nulle part appliquée. En
admettant que les réformes institutionnelles sont de quelque utilité pour
faciliter de véritables changements, comment éviter qu’elles absorbent
toutes nos énergies et concentrent tous nos espoirs, au lieu de les placer
dans la construction d’une complète autonomie ?

Nous avons à effectuer un choix "stratégique" non seulement dans les
formes mais aussi sur le fond de la question. Peut-on effectuer des
changements ou des réformes à moyen terme tout en poursuivant une
stratégie de transformationradicaleàlongterme ?

Dans l’éventualité où des réformes et le dialogue seraient acceptés, il
est de toute première importance qu’elles ne constituent qu’une première
étape au sein d’une stratégie plus profonde... Pour cela, leurs acteurs
doivent être des personnes jouissant d’une pleine légitimité, réellement
représentatives, et que l’un des objectifs avoués du mouvement oaxaquien
soit en permanence d’avoir des serviteurs et non des leaders ou des
dirigeants. Que ces acteurs ne servent pas d’intermédiaires entre le
gouvernement et le peuple pour défendre leurs propres intérêts. Qu’ils ne
finissent pas par être ce qu’ils critiquent. Que cette détermination des
peuples de l’Oaxaca qui leur ont permis de résister aux assauts du
gouvernement serve à construire un présent et un avenir communautaire,
sans dirigeants mais avec des personnes entièrement au service de leurs
peuples.

Il est vital que ce dialogue ne s’effectue pas en négligeant la pluralité
la société qui appuie un tel processus. De cette manière, la lutte pour
une transformation radicale s’accompagnera d’une véritable réflexion et
pourra se poursuivre au-delà de la réalisation d’éventuelles réformes et
sera en mesure de continuer à construire la régénération qu’attend
l’Oaxaca.

N’oublions pas ! Coude à coude, épaule contre épaule, l’APPO, l’APPO c’est
nous, ensemble.

Rubén Valencia Núñez [2].

Traduit par Ángel Caído.

http://www.ciepac.org/boletines/ultimo.php


[1Le "tlacuache" est un animal prédateur qui s’attaque surtout aux
volailles. Quand on le surprend et que l’on veut le tuer, il faut le
frapper longuement, car lorsqu’il est sur le point de mourir, il fait le
mort et cesse de respirer pour tromper son adversaire. Dès qu’il se sent à
nouveau en sécurité, il sursaute et remue les pattes pour filer par où il
est venu et regagne généralement les montagnes. Mais il revient toujours.
(Note figurant dans l’original.)

[2Ruben Valencia Núñez est conseiller de l’APPO pour la région de l’isthme
de Tehuantepec et adhérant à l’Autre Campagne.