Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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ET LA TERRE A DE NOUVEAU TREMBLÉ ! RAPPORT...

jeudi 12 janvier 2017

ET LA TERRE A DE NOUVEAU TREMBLÉ !

RAPPORT DEPUIS L’EPICENTRE...
 
( 1er janvier 2016 )

Aux Peuples originaires du Mexique

A la Société civile du Mexique et du monde

A la Sexta nationale et internationale

Aux médias libres
 

Frères, sœurs,
 

C’est le moment des peuples, de nous ensemencer, de nous reconstruire. C’est le moment de passer à l’offensive et c’est cela l’accord qui se dessine dans nos yeux, chez les individus, chez les communautés, chez les peuples, chez le Congrès National Indigène ; il est temps que la dignité gouverne ce pays et ce monde, et qu’à son passage fleurissent la démocratie, la liberté et la justice.

Nous faisons savoir que durant la seconde étape du Ve CNI nous avons minutieusement évalué le résultat de la consultation des peuples qui sommes le Congrès National Indigène, qui eut lieu les mois d’octobre, novembre et décembre 2016, et durant lesquels par tous les modes, toutes les formes et toutes les langues qui nous représentent dans la géographie de ce pays, nous avons émis des accords d’assemblées communales, ejidales [1], de collectifs, municipales, intermunicipales et régionales, qui une fois de plus nous amènent à comprendre et à assumer avec dignité et rébellion la situation que traverse notre pays, notre monde.

Nous saluons les messages de soutien, d’espoir et de solidarité exprimés par des intellectuels, des collectifs et des peuples qui reflètent de l’espoir envers notre proposition que nous avons dénommé « Que tremble la terre jusque dans ses entrailles » et que nous avons rendu publique lors de la première étape du Ve CNI. Nous saluons aussi les voix critiques, nombre d’entre elles avec des arguments fondamentalement racistes, qui reflètent une indignation rageuse et du mépris à la pensée qu’une femme indigène prétende non seulement concourir à une élection présidentielle, mais proposer de changer réellement, depuis en-bas, ce pays endolori.

A eux tous, nous leur disons qu’en effet, la terre a tremblé à nouveau et nous avec elle, et que nous prétendons secouer la conscience de la nation, qu’en effet nous prétendons que l’indignation, la résistance et la rébellion figurent sur les bulletins électoraux de 2018, mais que notre intention n’est pas de rentrer en quoi que ce soit en concurrence avec les partis et toute la classe politique qui nous doit encore beaucoup : chaque mort, chaque disparu, chaque enfermé, chaque spoliation de terre, chaque répression, chaque mépris. Ne nous confondez pas, nous ne prétendons pas rivaliser avec eux, car nous ne sommes pas la même chose, nous ne sommes pas leurs paroles mensongères et perverses. Nous sommes la parole collective d’en-bas et à gauche, celle qui secoue le monde lorsque la terre tremble avec des épicentres d’autonomie, et qui nous rend si orgueilleusement différent que :
 
 1. Tandis que le pays est submergé par la peur et la terreur qui naissent d’entre les milliers de morts et de disparus, dans les municipalités des régions du Guerrero de La Montagne et de La Côte [2], nos peuples ont créé des conditions de sécurité et de justice véritable.

À Santa María Ostula, Michoacán, le peuple Nahua s’est uni avec d’autres communautés indigènes afin de maintenir la sécurité entre les mains des peuples, avec comme épicentre de la résistance l’assemblée communale d’Ostula, garante de l’éhique d’un mouvement qui a pénétré déjà les municipalités d’Aquila, Coahuayana, Chinicuila et Coalcomán.

Sur le plateau purépecha la communauté de Cherán a démontré qu’avec de l’organisation, en dégageant les politiciens de leur structure du mauvais gouvernement et en exerçant leurs propres formes de sécurité et de gouvernement, on peut non seulement construire la justice, mais aussi que, tout comme dans d’autres géographie du pays, ce n’est que depuis en-bas, depuis la rébellion que se reconstruisent de nouveaux pactes sociaux, autonomes et justes, et nous ne cessons, ni ne cesserons de construire par le bas la vérité et la justice niée aux 43 étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa (Guerrero), disparus, aux 3 compañeros étudiants qui ont été assassinés et aux compañeros blessés, tous par le fait du narco-gouvernement mexicain et de ses forces répressives.

Pendant ce temps, les mauvais gouvernements criminalisent la lutte sociale, la résistance et la rébellion en pourchassant, en traquant, en faisant disparaître, en enfermant et en assassinant des hommes et des femmes conséquents qui luttent pour de justes causes.
 
2. Tandis que la destruction gagne tous les coins du pays, sans connaître de limites et en éloignant l’appartenance à la terre et au sacré, le peuple Wixárika, aux côtés des comités en défense de la vie et de l’eau des hauts plateaux de la région de San Luis Potosí ont démontré que l’on peut défendre un territoire, son environnement et ses équilibres en se basant sur la reconnaissance de faire un avec la nature, avec une vision sacrée qui renouvelle chaque jour les liens ancestraux avec la vie, la terre, le soleil et les ancêtres, et cela dans 7 municipalités sur le territoire cérémoniel sacré de Wirikuta, à San Luis Potosí.

3. Tandis que les mauvais gouvernants déforment les politiques de l’État en matière éducative en mettant celle-ci au service des entreprises capitalistes afin qu’elle cesse d’être un droit, les peuples originaires créent des écoles primaires, des collèges, des lycées et des universités, avec leurs propres systèmes éducatifs, basés sur la protection de notre terre-mère, sur la défense territoriale, sur la production, sur les sciences, sur les arts, sur nos langues, et bien que la majorité de ces processus grandissent sans soutien d’aucun niveau du mauvais gouvernement, il sont au service de toutes et tous.

4. Tandis que les médias commerciaux se font les porte-paroles de ceux qui prostituent chacune des paroles qu’ils diffusent, et qu’ils trompent les peuples de la campagne et de la ville en les maintenant endormis, faisant passer pour des criminels ceux qui pensent et qui défendent ce qui leur appartient et qui toujours sont présentés comme les méchants, les vandales, les inadaptés. Alors que ceux qui vivent de l’ignorance et de l’aliénation sont présentés comme socialement bons, et que ceux qui oppriment, répriment, exploitent et spolient sont toujours les bons, ceux qui méritent d’être respectés et de gouverner pour servir leurs intérêts. Et tandis que cela a cours, les peuples ont créé leurs propres médias en inventant des formes diverses afin que la conscience ne soit pas occultée par le mensonge imposé par les capitalistes, les utilisant en plus de cela pour renforcer l’organisation d’en-bas, de là où naît chaque parole véritable.

5. Tandis que la « démocratie » représentative des partis politiques s’est transformée en une farce contre la volonté populaire, où les votes s’achètent et se vendent comme une marchandise de plus et qu’on manipule par la pauvreté dans laquelle les capitalistes maintiennent les sociétés des campagnes et des villes, les peuples originaires continuent à prendre soin et à renforcer des formes de consensus et d’assemblées en tant qu’organes de gouvernement où la voix de toutes et tous se transforme en accords profondément démocratiques, incluant des régions entières au travers d’assemblées opinant sur les accords d’autres assemblées qui surgissent elles-mêmes de la volonté profonde de chaque famille.

6. Tandis que les gouvernements imposent leurs décisions au bénéfice de quelques-uns, supplantant la volonté collective des peuples, criminalisant et réprimant ceux qui s’opposent à leurs projets mortifères qu’ils imposent sur le sang de nos peuples comme c’est le cas pour le Nouvel aéroport de la ville de Mexico, feignant de consulter tout en imposant leur mort, nous, peuples originaires, possédons les manières et les formes constantes de consultation préalable, libre et informée, qu’elle que soit la taille de celles-ci.

 
7. Tandis qu’à travers leurs réformes de privatisation les mauvais gouvernements confient la souveraineté énergétique du pays à des intérêts étrangers et que les coûts élevés du carburant révèlent le mensonge capitaliste qui trace uniquement des voies inégalitaires, et que la réponse rebelle des peuples indigènes et non-indigènes du Mexique ne pourra ni être occultée ni réduite au silence par les puissants ; nous, les peuples, faisons front et luttons pour arrêter la destruction de nos territoires par le fracking [exploitation du gaz de schiste], les parcs éoliens, les mines, les puits de pétrole, les gazoducs et les oléoducs dans des états tel le Veracruz, le Sonora, le Sinaloa, la Basse Californie, le Morelos, l’Oaxaca, le Yucatán et tout le territoire national.

8. Alors que les mauvais gouvernements imposent une alimentation toxique et transgénique à tous les consommateurs de la campagne et des villes, les peuples Mayas maintiennent une lutte infatigable afin d’arrêter la culture des transgéniques dans la péninsule du Yucatán et dans tout le pays afin de conserver la richesse génétique ancestrale, qui représente de plus notre vie et notre organisation collective et la base de notre spiritualité.

9. Alors que la classe politique ne fait que détruire et promettre, nous, les peuples, construisons non pour gouverner mais pour exister dans l’autonomie et la libre détermination.

Nos résistances et rébellions constituent le pouvoir d’en-bas, elles n’offrent ni promesses ni idées saugrenues, mais des processus réels de transformation radicale où toutes et tous participent et qui sont tangibles dans les diverses et gigantesques géographies indigènes de cette nation.

C’est pourquoi en tant que Congrès National Indigène, réunissant en ce Ve Congrès 43 peuples de ce pays, nous AVONS ACCORDÉ de nommer un Conseil Indigène de Gouvernement avec pour représentants des hommes et des femmes de chacun des peuples, tribus et nations qui le composent. Et que ce conseil se propose de gouverner ce pays. Et qui aura pour voix une femme indigène du CNI, c’est-à-dire ayant du sang indigène et une connaissance de sa culture. C’est-à-dire qui a comme porte-parole une femme indigène du CNI qui sera candidate indépendante à la présidence du Mexique lors des élections de 2018.
 
C’est pour ça que nous le CNI, en tant que Maison de tous les peuples, nous sommes les principes configurant l’éthique de notre lutte, et dans laquelle ont leur place tous les peuples originaires de ce pays. Ces principes sur lesquels repose le Conseil Indigène de Gouvernement étant :
 
Obéir et non commander
 
Représenter et non supplanter
 
Servir et non se servir
 
Convaincre et non vaincre
 
Descendre et non monter
 
Proposer et non imposer
 
Construire et non détruire

 
C’est ce que nous avons inventé et réinventé non pas par goût, mais comme l’unique forme à notre disposition pour continuer à exister, c’est-à-dire que ces nouveaux chemins sortis de la mémoire collective de nos propres formes d’organisation sont les produits de la résistance et de la rébellion, du fait de faire front chaque jour à la guerre qui n’a jamais cessé et qui n’a jamais pu en finir avec nous. Par ces formes il a non seulement été possible de tracer la voie pour la reconstitution intégrale des peuples, mais aussi de tracer de nouvelles formes de civilisation, des espérances collectives qui deviennent communautaires, municipales, régionales, englobant des états même, et qui apportent des réponses précises aux problèmes réels du pays, loin de la classe politique et de sa corruption.

Depuis ce Ve Congrès National Indigène nous appelons les peuples originaires de ce pays, les collectifs de la Sexta, les travailleurs et travailleuses, fronts et comités de lutte de la campagne et des villes, la communauté étudiante, intellectuelle, artistique et scientifique, la société civile non organisée et toutes les personnes de cœur à serrer les rangs et passer à l’offensive, à démonter le pouvoir d’en-haut et nous reconstituer non plus seulement en tant que peuples, mais aussi en tant que pays, depuis en-bas et à gauche, à nous unir en une seule organisation où la dignité soit notre ultime parole et notre action première. Nous vous appelons à nous organiser et arrêter cette guerre, à ne pas avoir peur de nous construire et de nous semer sur les ruines laissées par le capitalisme.
 
C’est cela que nous demande l’humanité et notre mère qui est la terre, en cela nous découvrons qu’est venu le temps de la dignité rebelle et que nous le matérialiserons en convoquant à une assemblée constitutive du Conseil indigène de gouvernement pour le Mexique au mois de mai 2017 et dès ce moment-là, nous tendrons des ponts vers les compañeros et compañeras de la société civile, les médias et les peuples originaires afin de faire trembler la terre jusque dans ses entrailles, vaincre la peur et récupérer ce qui appartient à l’humanité, à la terre et aux peuples, pour la récupération des territoires envahis ou détruits, pour le retour des disparus du pays, pour la liberté de toutes et tous les prisonniers politiques, pour la vérité et la justice pour les assassinés, pour la dignité de la campagne et de la ville.

C’est-à-dire, n’ayez aucun doute, nous sommes prêts à aller jusqu’au bout, car nous savons après tout que nous avons peut-être en face de nous la dernière opportunité en tant que peuples originaires et en tant que société mexicaine de changer pacifiquement et radicalement nos propres formes de gouvernement, et faire que la dignité soit l’épicentre d’un monde nouveau.

Depuis Oventik, Territoire zapatiste, Chiapas, Mexique

 
Plus jamais un Mexique sans nous

 
Congrès National Indigène

 
Armée Zapatiste de Libération Nationale


[1Les assemblées ejidales sont des assemblées visant, suivant la constitution mexicaine de 1917, à la gestion de terres attribuées collectivement à des communautés paysannes. Cependant, dans nombre de communautés indiennes telles qu’à Tila (nord du Chiapas), elles sont assumées de fait comme des organes de gouvernement indigène et de démocratie directe

[2La Montaña et La Costa sont deux régions administratives de l’est de l’état du Guerrero, très majoritairement indigènes, où coexistent mixtèques, tlapanèques, nahuas, amuzgos, métis et afromexicains.